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les ancêtres. On revient de plus en plus aujourd’hui de ce préjugé si funeste aux recherches savantes, et toute l’histoire moderne est en train ou à la veille d’être renouvelée de fond en comble.

On sait les révélations que les archives de Simancas, accessibles depuis vingt ans seulement, ont apportées au public étonné ; on n’ignore pas les conclusions inattendues qu’en ont tirées les Prescott, les Ranke, les Mignet. Tout le monde a lu le beau livre dans lequel le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques a substitué à la légende de l’ermite ascétique de San Yuste l’histoire de l’homme d’état infatigable qui, de sa retraite peu rigoureuse, dirigeait, par habitude de gouverner plus encore que par ambition ou illusion, tous les fils de la politique européenne. Grand fut donc l’émoi du monde savant lorsqu’à la fin de l’année dernière on annonça une nouvelle découverte faite dans ces célèbres archives, et qui éclairait, disait-on, d’un jour étrange un autre point légendaire de cette histoire si intéressante de l’Espagne du XVIe siècle, la folie de Jeanne, mère de Charles-Quint. Bien qu’il faille un peu rabattre des conclusions trop hardies de l’érudit allemand, les documens publiés par lui renferment encore des détails accablans pour la mémoire des trois souverains, père, époux et fils de l’infortunée reine de Castille. — Grâce aux pouvoirs discrétionnaires dont jouissait l’archiviste en chef de Simancas, ceux qui s’occupaient de cette époque de l’histoire d’Espagne n’avaient jamais pu obtenir communication de certaines pièces très importantes de la collection. M. Bergenroth fit pendant six ans des efforts plus persévérans qu’heureux pour arriver jusqu’à ces papiers. Soutenu par le ministre de Prusse, le baron de Werthern, il parvint enfin, il y a un an environ, à se faire ouvrir ces armoires mystérieuses. Son zèle fut récompensé au-delà de ce qu’il avait pu attendre. Il trouva en effet des pièces du plus haut intérêt, et il s’est empressé de les publier in extenso, contrairement à l’habitude des calendars, et en les accompagnant d’une traduction anglaise, dans la collection des State-Papers, qui paraît à Londres sous la direction du master of the rolls ; elles en remplissent un gros volume. En tête de ces documens, M. Bergenroth publiait une introduction étendue où il essayait d’établir la parfaite santé mentale de Jeanne. Il donnait en même temps au recueil de M. de Sybel un extrait en allemand de l’introduction qu’il avait publiée à Londres. Peut-être, s’il eût vécu, aurait-il mitigé un peu ce que ses conclusions ont de trop absolu ; malheureusement la mort vient de le surprendre à Madrid même. Il paraît que ses travaux n’avaient point enrichi l’obstiné chercheur, qui a dû être enterré, il y a trois mois, aux frais de la légation de l’Allemagne du nord.