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vue, tandis que je désire, moi, qu’on la lise dans une pièce attenante à la sienne. D’ailleurs, que ce soit à l’un ou à l’autre endroit, on lira bientôt la messe. » Il y revient un mois après. « Tous les jours, nous sommes occupés de l’affaire de la messe. Si elle traîne en longueur, c’est que nous voulons voir si la reine ne veut pas y donner son consentement. Ce serait ce qu’il y aurait de mieux. Pourtant, avec l’aide de Dieu, son altesse entendra la messe. » Au mois de septembre 1518 en effet, on dressa un autel tendu de noir dans le corridor, et la reine consentit à assister, en présence de sa fille et de frère Juan, au service divin célébré par frère Antonio. Elle lut même son paroissien à haute voix ; mais quand, à la façon castillane, on lui présenta l’Évangile et la Pax, elle fit signe de les passer à sa fille, et ne voulut point accepter ce privilège royal. Comment avait-elle été amenée à cette concession, qui, s’il faut en croire une note marginale du secrétaire de Charles, fit « grand plaisir » à son fils ? Était-ce par son propre raisonnement, qui lui disait qu’il ne fallait pas trop renier la religion de la majorité du peuple espagnol ? Était-ce par l’éloquence des moines ? Était-ce par le terrible argument de la cuerda ? Il faut craindre que ce ne soit ce dernier moyen de persuasion qui ait fini par triompher de ses résistances. Dans une autre occasion, neuf ans plus tard, le 11 octobre 1527, Dénia n’hésitait point à écrire à son maître : « Si votre majesté ordonne que son altesse soit traitée avec des égards, votre majesté… agit en bon fils. Il doit cependant être convenu que moi, en ma qualité de vassal, je dois faire ce qui est utile à son altesse. » Or il lui avait dit précédemment ce qu’il croyait « utile à son altesse » en l’assurant que « rien ne lui ferait autant de bien que la torture, » et qu’on « rendrait service à Dieu et à elle-même en la lui appliquant. » Ce qui est certain, c’est que quelques années plus tard, lors de sa seconde captivité, Jeanne fut intraitable sur le chapitre de la religion, et protesta qu’on lui avait fait violence. Elle alla un jour jusqu’à arracher sa fille Catalina de l’autel où elle priait (25 janvier 1522), et les scènes de ce genre se renouvelèrent, si bien que Dénia, le 23 mai 1525, finit par demander à Charles d’abord un dominicain qui s’entendît mieux à la persuader que les moines dont elle était entourée, puis, « bien que ce soit chose grave pour un sujet, » l’autorisation de lui donner la premia, euphémisme qui désigne, s’il faut en croire les lexicographes espagnols, « les moyens violens employés par un juge pour obtenir des aveux[1]. »

  1. M. Gachard, dans un récent travail sur le même sujet, arrive à des conclusions différentes des nôtres, et donne, par exemple, au mot premia un sens moins accus » ; s’appuyant sur le Dictionnaire de l’Académie de Madrid, il le traduit simplement par contrainte, violence ; M. Bergenroth au contraire en appelle au lexique de Ramon Joaquim Dominguez, « le seul qui fasse autorité pour l’espagnol du XVIe siècle. »