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ou un Orphée ; le ministère a rendu des hommages si pompeux aux raclures de palette appliquées sur un carré de toile, que le public, toujours enclin à juger les choses sur l’étiquette, prend aujourd’hui les pochades au sérieux et paie l’informe au poids de l’or.

Ma conscience soulagée par cette digression, il ne me reste plus qu’à constater le succès persistant de la nouvelle école. M. Corot est toujours le plus aimable, le plus délicat, le plus vaporeux des coloristes. M. Daubigny, quoiqu’il mette trop d’encre dans ses mares et pas assez d’air dans ses vergers, est encore le roi des réalistes ; il a le génie du terre-à-terre et possède toutes les qualités secondaires de son art au suprême degré. M. Chintreuil nage avec beaucoup de grâce et de vivacité dans un filet de couleur aigrelette ; M. Lavieille est sincère, M. Charles Leroux est hardi, large et parfois vigoureux. M. Busson peint bien, M. Bernier se développe et se corse ; M. Saint-François excelle dans le fantastique ; M. Léon Flahaut vient d’exposer un excellent paysage sur deux ; la Vue de la cathédrale de Chartres, par M. van Elven, est remarquable ; M. Japy étale un talent jeune et nerveux sur une toile peut-être un peu trop grande.

Les mâles âpretés de M. Harpignies, la bonhomie intelligente de M. Hanoteau, la finesse de M. Lansyer, la fraîcheur de M. Masure, la verve de M. César de Cock, le procédé savant de M. Appian, méritent une mention élogieuse. M. Courbet n’est pas dans son beau cette année ; mais M. Gustave Doré a deux paysages raisonnables, d’une bonne fabrication, tout farcis de mérites ordinaires. Le talent si personnel et si original de M. Penguilly L’haridon s’est enfermé dans deux petites marines, et il y a fait merveille. Parmi les derniers ouvrages du vaillant et regretté Paul Huet, il faut citer en première ligne la Grève d’Houlgate, une ébauche pleine de vivacité, d’éclat et de grandeur. M. Fabius Brest a deux bons paysages d’Orient, dont une marine remarquable ; le Soleil couchant de M. Émile Breton et son Effet de neige la nuit attestent un sensible progrès. J’ai remarqué certain tableau des bords de la Marne, qu’on pourrait prendre pour un Corot plus vif et plus dessiné ; l’auteur est un jeune Espagnol inconnu à Paris, si je ne me trompe ; il se nomme Martin Rico. Le Mont-Blanc de M. Français représente un effort considérable et un savoir immense ; mais combien il est difficile de faire un panorama qui soit un tableau ! M. Français est un des derniers représentans du beau dessin dans le paysage moderne ; il faut le mettre à part avec M. Bellel, M. de Curzon, M. Jules Didier et quelques autres dont la liste ne serait pas bien longue. La Vue prise sur la côte de Sorrente, par M. de Curzon, est aussi avenante par la couleur que satisfaisante par l’ampleur et la