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 « Ce n’est rien, poursuivons, dit-elle,
Je me sens forte, et je vais mieux… »

Sous la peau qui redevint rose
Le sang courut, son œil brilla,
Et sur sa bouche demi-close
Un sourire se réveilla.

Elle avait levé sa voilette,
Son sein tout ému palpitait ;
Une senteur de violette
De son corsage ouvert montait…

Lui, rempli d’audaces nouvelles,
Fut tenté de mettre un baiser
Sur ces yeux aux claires prunelles…
Mais il s’arrêta sans oser.

Le baiser resta sur sa lèvre ;
Il craignit de jeter d’abord
Cette note pleine de fièvre
Dans cet harmonieux accord,

Et sage, il sut avec délice
Savourer ce rare bonheur,
D’aspirer au bord du calice
Le parfum sans froisser la fleur.

II. — MYTHOLOGIE.


C’était au bois, en mars, et le merle sifflait.
Elle allait devant moi, délicate et mignonne,
Et sa main me montra dans l’ombre une anémone
Rose, auprès de ses sœurs blanches comme du lait.

Je lui contai la fable antique : — le filet
D’où s’élance le dieu que la haine aiguillonne,
Adonis qui se meurt et l’herbe qui fleuronne,
Empourprée, à la place où son sang pur coulait.

Elle écoutait… Soudain aux ronces de la haie
Son doigt meurtri saigna… Ma bouche sur la plaie
Comme un vin capiteux but la rouge liqueur.

Goutte à goutte, le sang tomba dans ma poitrine,
Et, comme aux temps lointains de la fable divine,
La pourpre fleur d’amour s’entr’ouvrit dans mon cœur.