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à discerner le point où il faut porter tous les efforts pour accomplir une œuvre utile de civilisation et de progrès. Nous ne contestons pas la vivace puissance de la démocratie radicale ; elle vient de triompher, au moins en apparence, dans certaines circonscriptions de Paris, elle a toujours pour elle le vague de ses aspirations et de ses formules. Son malheur est de ne pas comprendre la marche des choses, de vivre sous la tyrannie des mots, et surtout aujourd’hui de dénaturer, de déplacer les problèmes qui tiennent le plus au cœur de la France, qui intéressent le plus son avenir. Quand elle a lancé dans les airs quelque appel retentissant, quand elle a répété que la révolution est en marche ou que la révolution est en péril, qu’il faut pousser jusqu’au bout l’œuvre révolutionnaire et démocratique, elle croit avoir tout dit : elle confond tout, elle obscurcit tout, et c’est précisément la question entre le radicalisme et le libéralisme. Il y a là un point qu’il ne faut pas se lasser d’éclaircir, parce que c’est la première, la grande affaire de la France dans ce conflit d’idées, d’instincts, de tendances, dont les élections dernières sont une nouvelle expression.

La vraie question est de savoir ce qui est acquis, irrévocablement acquis, de cette révolution française dont on parle sans cesse, ce qui reste à conquérir, et c’est là que le radicalisme brouille tout, compromet tout en se trompant lui-même, faute d’une intelligence précise des grands événemens de ce siècle aussi bien que des besoins de l’heure actuelle. Le radicalisme ne voit pas que, dans ce qu’elle a eu de spécialement démocratique, la révolution est accomplie ou s’accomplit tous les jours par la force même des choses. La révolution est passée dans les mœurs, dans les lois, dans le sang de la France, et quel est aujourd’hui le parti ayant l’ambition de rallier dix hommes sous son drapeau qui tenterait de se placer en dehors des données démocratiques ? Si on ne se payait pas de mots et de prétentieuses déclamations, on verrait bien que la démocratie est devenue un fait éclatant, invincible ; elle se développe tous les jours par la distribution de la propriété, par l’extension multiple et croissante de l’idée d’égalité, par la fusion des intérêts, par le nivellement progressif des mœurs. Dans cette immense subdivision du sol qui s’accomplit, est-ce qu’il n’y a pas des millions de paysans possesseurs de la terre pour quelques grands propriétaires ? Est-ce que les rapports entre les classes sont ce qu’ils étaient autrefois ? est-ce que la condition sociale des ouvriers n’est pas singulièrement améliorée depuis cinquante ans ? Lorsque l’intelligence et le travail dominent, on peut le dire, quand chaque jour s’abaissent les barrières entre les classes, lorsqu’il n’y a pas un droit que le plus humble ne partage avec le plus grand, lorsque dans des villes industrielles, comme Mulhouse par exemple, on prouve des combinaisons ingénieuses pour faire arriver en quelques années plus de sept cents familles d’ouvriers à la propriété, est-ce que ce