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précisément témoigné le désir d’être absorbés, et qui ne voudraient pas être tout à fait dévorés. Le fait est qu’il y a aujourd’hui un conflit des plus vifs, des plus animés, entre le premier ministre prussien et le parlement de la confédération du nord. L’assemblée résiste, elle ne veut pas assumer l’impopularité des nouveaux impôts, elle trouve au fond que, pour les états confédérés, c’est assez d’être absorbés sans payer si cher les frais de l’absorption ; la chancelier insiste, et on n’arrive pas à s’entendre. Ce qui ajoute aux ennuis de M. de Bismarck, c’est que, si le parlement fédéral ne veut pas lui donner l’argent qu’il réclame, il faudra de toute nécessité qu’il le demande à la Prusse seule, et voilà des difficultés nouvelles, plus graves peut-être, qui peuvent réveiller les hostilités parlementaires sur lesquelles la guerre de 1866 avait jeté son voile prestigieux. Au milieu de ces débats, un député a proposé tout bonnement de faire des économies sur le budget militaire, au lieu d’établir des impôts. M. de Bismarck s’est récrié aussitôt, et d’un ton moitié plaisant, moitié sérieux, il a répliqué qu’il accepterait, s’il croyait « qu’une armée ennemie pût être arrêtée à la frontière par la force de l’éloquence, » qu’il avait bien entendu parler de quelque chose de semblable dans l’histoire romaine, mais qu’on avait affaire alors à des peuples non civilisés qui se laissaient reconduire à bon compte. M. de Bismarck a défendu qu’on touchât à l’armée. Or l’armée, c’est partout la vraie dépense, et il est certain que la Prusse dépense beaucoup, non-seulement pour sa force militaire de terre, mais encore pour sa marine, pour la défense de ses côtes. Elle multiplie les travaux de fortification dans le port de la Jahde, dans le port de Kiel ; il y a une dépense prévue de 80 millions de thalers, répartie sur dix années, pour l’exécution d’un système général de défense maritime. Que M. de Bismarck sente l’utilité de ces travaux, c’est assez naturel ; que tous les membres de la confédération soient également saisis d’enthousiasme pour ces choses qui font la puissance de la Prusse, c’est une autre affaire, et au fond voilà le conflit. Toujours est-il que, si le premier ministre de Prusse désire la paix, comme cela est facile à croire aujourd’hui, il met ses intentions pacifiques sous la protection d’une force respectable qu’il ne se montre nullement décidé à diminuer pour le moment.

Si l’Espagne depuis quelque temps a besoin de moyens de défense, ce n’est pas précisément pour les mêmes motifs que M. de Bismarck, c’est plutôt pour se défendre contre elle-même, contre les divisions qui peuvent la déchirer. Elle a déjà échappé à plus d’un péril, elle n’est pas au bout des difficultés que lui a créées la révolution de l’an dernier. Il est vrai de dire cependant qu’elle soutient cette épreuve avec une certaine fermeté ; elle a eu sans doute de temps à autre depuis six mois quelques émeutes, surtout beaucoup de menaces de guerre civile ; elle a eu de violens débats dans ses cortès, elle a ses finances dans le plus singulier délabrement, elle est à la recherche d’un roi qu’elle ne trouve pas ;