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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


contre les membres du clergé. Attendre d’un tel homme une dénonciation même vraie contre son maître eût été une espérance insensée ; mais vouloir lui faire dire que Chrysostome était un incendiaire, et l’incendiaire de sa propre église, c’était attirer sur ceux qui l’interrogeaient toute l’indignation de son cœur. On ne sait ce qu’il répondit au préfet ; mais le supplice le plus ignominieux lui fut aussitôt infligé. On le dépouilla de ses vêtemens et on le fouetta avec des courroies plombées jusqu’à ce que les chairs détachées lui descendissent des reins ; on lui mit les ceps aux pieds pour en distendre les doigts, et enfin on l’écartela sur le chevalet jusqu’à ce qu’il eût perdu tout sentiment, après quoi on l’envoya pourrir sur la paille de son cachot. Tigrius pourtant n’en mourut pas. Lorsque ses plaies furent à peu près cicatrisées et qu’il fut en état de supporter les secousses d’un chariot, on l’envoya en Mésopotamie revoir les rives du fleuve qu’il avait quittées esclave et moins infortuné.

Le nom de Sérapion se joint ordinairement à celui de Tigrius dans la liste des conseillers funestes de Chrysostome, qui hâtèrent par leur violence la perte de ce grand et malheureux homme. Le parti triomphant aurait bien voulu mettre la main sur l’ancien diacre de Sainte-Sophie, devenu évêque d’Héraclée, en Thrace ; mais Sérapion était dans son diocèse au moment de l’incendie, et, quoiqu’il eût pu opposer à toute accusation un alibi incontestable, il connaissait trop bien ses ennemis pour ne se fier qu’à son bon droit : il s’était donc mis en lieu sûr dès l’ouverture de l’enquête. Un couvent de moines goths catholiques qu’on appelait Marses le déroba pendant quelque temps à toutes les recherches de l’autorité civile, et il ne fut découvert que lorsque la première effervescence des haines était un peu calmée. Plus tôt, on l’aurait tué ; on se contenta de le torturer. Entre autres supplices, on lui arracha la peau du front avec les sourcils au moyen d’ongles et de tenailles d’acier ; puis on le déporta en Égypte sous la garde du patriarche d’Alexandrie : Sérapion aurait préféré sans aucun doute la garde des geôliers de l’empereur.

L’avénement d’un métropolitain de Constantinople en remplacement de l’archevêque exilé arriva comme un intermède au milieu de ces sanglantes tragédies. Chrysostome avait été enlevé de la ville impériale le vingtième jour de juin, et dès le 27 son successeur était installé. La cour ni les évêques qui maintenant conduisaient tout n’avaient perdu de temps ; la cour espérait que le peuple oublierait plus aisément son idole en perdant l’espoir d’un retour, et les évêques de leur côté n’étaient pas fâchés de mettre cette barrière entre eux et un repentir possible d’Augusta. Toutefois l’enfan-