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Dans ce désarroi général, beaucoup d’églises faiblirent et se résignèrent à la communion des triumvirs. Celles qui résistèrent jusqu’au bout sont glorifiées par l’histoire. Dans ce nombre, on compte celles de Carie, qui se concertèrent pour envoyer leur profession de foi au pape Innocent, celles de Palestine, qui, malgré les divisions qui les déchiraient, chassèrent le prêtre qui leur apportait une sommation du triumvirat, celles de Cilicie, celle de Pessinonte, en Phrygie, et d’autres encore. La cour ayant tenté d’intimider ou de séduire l’archevêque de Thessalonique, dont l’église restait attachée au domaine spirituel de l’Occident, quoique son territoire, ainsi que toute l’Illyrie orientale, appartînt depuis Théodose au domaine civil d’Orient, le courageux évêque répondit : « Je suis en communion avec l’église de Rome ; ce que fera cette église, je le ferai. » Les évêques et les clercs venus de Constantinople et de la Grèce continentale en Italie, et que les Asiatiques essayaient de rejoindre, formaient à Rome comme un petit peuple qui sollicitait instamment, au nom du malheur et au nom du droit, la justification de Chrysostome ; là se préparait, ainsi que nous le verrons bientôt, une nouvelle phase de ce grand procès, qui de l’Orient étendait son importance sur le monde entier.

L’église orientale, on doit l’avouer, avec sa servilité, ses perpétuelles dissensions, les jalousies, les complots, les crimes de ses évêques (j’hésitais à écrire ce mot, mais il m’est imposé par les faits), cette église, dis-je, faisait bien les affaires de celle d’Occident, et travaillait de son mieux à la domination de sa rivale. Il y avait à peine vingt ans que dans le second concile œcuménique les pères réunis à Constantinople et l’empereur Théodose lui-même reprochaient aigrement au pape et aux évêques italiens de venir s’ingérer dans leurs affaires, qui ne les regardaient point, et les avertissaient de s’en abstenir désormais ; maintenant, grâce à tant de fautes accumulées, les catholiques orientaux, traqués entre un gouvernement trop mêlé aux choses religieuses et un triumvirat de despotes ecclésiastiques, ne voyaient plus de recours et d’espérance de justice qu’en Occident. L’ancre de salut était devenue, pour cette moitié du monde chrétien, l’ancre de la barque de Pierre, et de même qu’au milieu des tempêtes du lac de Génézareth Pierre criait à son maître : « Sauvez-nous, Seigneur, car nous périssons ! » ces catholiques opprimés, ces évêques fugitifs, ces diacres et ces prêtres enchaînés dans les mines ou dans des prisons et le grand exilé lui-même, ce Démosthène de l’éloquence chrétienne, s’écriaient, les bras tendus vers Rome : « Successeur de Pierre, sauve-nous ! »