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infini, souverain, des choses ? voilà ce que le sentiment religieux réclame, mais ce que le raisonnement seul ne saurait démontrer ; — si, dis-je, la métaphysique de M. Vacherot nous tenait ce langage, je ne sais, pas jusqu’à quel point elle ne serait pas plus sévèrement logique qu’elle, ne paraît l’être dans son livre, mais le phénomène de la religion lui eût été d’une explication moins difficile. Il aurait pu rechercher jusqu’à quel point la raison n’est pas tenue de faire un pas de plus pour arriver à l’unité de l’infini réel et du parfait idéal, et il n’eût pas commis ce paralogisme qui consiste à reporter l’état d’esprit religieux à la jeunesse de l’humanité, tout en proposant en fait, au nom de la philosophie et en pleine maturité, un véritable culte, une religion réelle, comme celle dont il relève avec tant d’éloquence la spiritualité et l’efficacité. Parce que sa religion est philosophique, ce n’en est pas moins une religion, un rapport de l’âme avec quelque chose d’adorable, qui ravit, captive, entraîne, et si avec lui nous pensons que toutes les religions d’autorité sont destinées à reculer lentement devant le progrès de l’esprit humain, nous osons le citer comme un des exemples les plus illustres qui démontrent la permanence de la religion dans l’âme humaine libre, n’obéissant qu’aux lois de sa nature.

L’école historique, après avoir mis en pleine lumière la genèse naturelle des religions, après avoir constaté la persistance de la religion sous toutes les latitudes et à tous les degrés de la civilisation, sauf peut-être chez quelques peuplades plus animales qu’humaines, en a conclu que la religion répondait à un besoin éternel de l’homme. On nous dit que cette conclusion dépasse les prémisses, et qu’il faudrait prouver de plus que l’état d’esprit supposé par la religion ne disparaîtra pas un jour. Il est difficile de satisfaire une pareille exigence. On pourrait la faire valoir aussi bien contre le sens esthétique ou le sens moral que contre le sens religieux. En définitive, comment pouvons-nous déterminer ce qui est essentiel à l’humanité, si ce n’est en constatant ce qui la caractérise dans tout l’espace et dans toute la durée que puisse atteindre notre observation ? Qui nous dit, en dehors des certitudes basées sur la foi en Dieu, que l’humanité, après avoir atteint, un certain degré de perfectionnement, ne refera pas en sens inverse le chemin qu’elle a parcouru, et ne reviendra, point à l’état d’animalité par lequel elle a certainement commencé son existence terrestre ? Ce n’est pas probable, je l’accorde ; mais enfin serait-ce inconcevable, évidemment impossible ? Et si cette désolante hypothèse venait à se réaliser, aurait-on le droit de nier, en bonne philosophie, que les facultés supérieures qui ont fait de l’homme un être à part pendant les