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doute un objet souverain vers lequel tout son être s’élance et dont il se sent profondément dépendant ; mais en même temps il s’affirme lui-même, et, bien loin de se supprimer, de s’annuler par cette affirmation, il s’épanouit, il se déploie indéfiniment. C’est le mystérieux Dein Mein gravé sur le cor d’ivoire de Charlemagne à Aix-la-Chapelle. Les deux termes sont solidaires, inséparables. Supprimez l’un, l’autre n’a plus de sens ; qu’un des deux, reparaisse, le second revient en même temps.

Il y a donc dans la notion philosophique de la religion une double affirmation, celle du sujet religieux et celle de l’objet de la religion. Dans les religions successives que nous présente l’histoire, tantôt l’un, tantôt l’autre des deux termes tend à absorber l’autre sans jamais parvenir à le supprimer entièrement. L’auteur trouve dans ce point de vue la base d’une classification très ingénieuse des divers types religieux qui se partagent l’humanité, mettant d’un côté les religions où le terme humain est comme écrasé par le terme divin (brahmanisme, polythéisme sémitique), de l’autre celles où le rapport est inverse (bouddhisme, Grèce antique), jusqu’à ce qu’il puisse montrer dans le principe religieux essentiel du christianisme, dans le rapport filial de l’homme avec Dieu, dans l’affinité de l’esprit humain et de l’esprit divin, cette conciliation qui répond à la fois aux exigences de la raison et aux besoins du cœur religieux.

Ce qui est fort agréable dans ce livre allemand, c’est la méthode, la clarté des déductions, l’absence de prétentions à la profondeur, toutes qualités dont les savans compatriotes de l’auteur ne sont pas toujours aussi bien pourvus que lui. Ce qui est à noter aussi comme signe des temps, c’est l’association continue d’un sens critique exercé, très libre, très familier avec toutes les découvertes d’exégèse, et d’un sens religieux positif, réaliste même, servant de guide à l’auteur pour tirer des matériaux épars que ces études lui fournissent un corps de doctrines philosophiques et religieuses d’une valeur à la fois pratique et théorique. C’est par là surtout qu’il se distingue de l’école purement critique et qu’il répond à ce besoin de conclure que l’école historique, prise en général, ne savait ou n’osait satisfaire. Je suis loin de prétendre qu’il ait édifié sur cette base un système définitif, et lui-même, j’en suis certain, n’a pas non plus cette prétention. Il n’en est pas moins vrai qu’une ère nouvelle va s’ouvrir pour la théologie scientifique : la critique ayant achevé son œuvre de dissolution des dogmes traditionnels, mais, les aspirations de la nature humaine restant toujours les mêmes, il s’agira désormais de leur fournir une réponse, satisfaisante tout en marchant d’accord avec les exigences de la science moderne. Une dogmatique nouvelle est en