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voie de se former. Elle aussi sans doute aura son temps de floraison, d’épanouissement et de décadence. C’est la loi des dogmatiques aussi bien que des philosophies ; mais c’est M. Vacherot lui-même qui a relevé la distinction si vraie entre « le progrès arithmétique et le progrès organique » dans l’histoire de l’esprit humain. Le premier consiste dans l’adjonction successive de quantités nouvelles à celles que l’on possédait déjà. C’est ainsi, par exemple, que les sciences physiques s’enrichissent tous les jours d’observations et de lois nouvelles. Le progrès organique se réalise par le déploiement et le perfectionnement d’un fonds invariable. C’est de cette manière qu’avancent la philosophie en général, la métaphysique en particulier. Le spiritualisme de Leibniz est en progrès sur celui de Descartes, l’idéalisme de Hegel est supérieur à celui d’Érigène, et ainsi de suite. Il en doit être de même pour ce couronnement, cette systématisation des connaissances religieuses qu’on appelle la dogmatique. Si l’on y pense bien, on trouve qu’à chaque période historique la tâche du théologien consiste à concilier avec un état déterminé de la raison un petit nombre de grandes affirmations, toujours identiques, malgré la différence profonde des formules successives, parce qu’elles répondent à des besoins permanens de la nature humaine. Dans ce voyage sans fin qu’il doit faire en quête de la vérité, l’homme à chaque étape doit s’estimer heureux de la pouvoir saisir dans la mesure et sous la forme prescrites par le degré du développement d’esprit qu’il a réussi à atteindre.


IV

Un fait significatif doit frapper les yeux de quiconque suit de près le mouvement de la pensée religieuse dans notre temps, c’est l’accord de plus en plus marqué des libres penseurs sérieux et des théologiens libéraux à prendre la nature humaine pour objet proprement dit de la recherche et pour critère de la vérité religieuse. Au XVIIe siècle, la religion faisait l’effet d’une doctrine imposée du dehors à l’intelligence par une révélation surnaturelle, et cette origine surnaturelle en faisait la vérité. Le XVIIIe fit honneur de l’invention religieuse à l’esprit humain ; mais il n’y vit qu’une invention artificielle inspirée par des arrière-pensées d’ambition sacerdotale ou de politique prudente sans rapport avec la religion prise en elle-même. Le XIXe n’est point revenu au point de vue du XVIIe siècle ; éclairé par l’histoire, il a vu dans la religion un fait spontané de la nature humaine. Cela une fois posé, les observateurs perspicaces, tels que Schleiermacher et Benjamin Constant, n’ont pas tardé à découvrir que, dans cette nature humaine, c’est le