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Par exemple, les premiers chapitres de la Genèse furent donnés jadis comme fondement à la doctrine catholique ; on répéta et l’on enseigna dans toute l’église que Dieu avait créé le monde en six jours, et l’on entendit par là des jours solaires. Quand la science eut démontré que la seule formation de la terre avait exigé un temps beaucoup plus long, l’interprétation dut rétrograder. On conserva du moins Adam comme souche primordiale de l’humanité et l’on assigna une certaine antiquité à l’espèce humaine, mais les inscriptions de l’Égypte la reculèrent de plusieurs siècles ; les découvertes géologiques la reléguèrent dans un passé beaucoup plus ancien, et, d’accord avec la philologie, firent voir dans les personnages d’Adam et d’Eve des mythes au lieu de réalités. La Genèse, battue en brèche, reste comme un monument fort obscur, et qui, loin d’éclairer la science, en requiert lui-même toutes les lumières. Autre exemple : la morale a cheminé comme la science ; l’universalité des lois qui en découlent a été démontrée, elle ne reconnaît plus de lois d’exceptions les philosophes pensent en général que l’état normal de l’homme et de la femme est de s’unir, parce que leur union est la condition de la durée de l’espèce ; on considère comme une déviation des lois de la nature et de la morale la multiplication des communautés de célibataires bouddhistes qui forment des villes entières dans l’Asie centrale et ont envahi la société siamoise. Cependant le concile de Trente a proclamé le célibat supérieur à l’état de mariage et déclaré anathème celui qui dirait le contraire. De là chez nous un antagonisme d’idées au sujet des convens et de la vie religieuse et une divergence entre les protestans et les catholiques. Il est évident que l’article du concile de Trente sera rapporté ou tombera en désuétude, si la doctrine philosophique vient à prévaloir. Remarquons que ce point d’orthodoxie romaine n’intéresse pas le christianisme, puisqu’il n’existe ni chez les protestans ni dans l’église d’Orient, où les prêtres sont mariés. Il démontre donc que l’immobilité des dogmes est une cause de décadence pour les églises locales et comme cette fixité règne dans toutes les orthodoxies, celles-ci tendent à s’anéantir faute de se pouvoir transformer. Si elles se modifiaient pour suivre le mouvement des esprits, elles tomberaient en contradiction avec leur propre principe et périraient plus vite encore.

Au contraire, quand une formule de foi est passée à l’état d’orthodoxie, elle devient un principe qui tend comme tout autre à produire ses conséquences extrêmes. Celles-ci se produisent toujours dans un sens défini et créent des forces nouvelles ou des faits sociaux parfois extraordinaires. On en pourrait citer des exemples à l’infini ; j’en rappellerai seulement deux ou trois. La contemplation de la vérité est l’état le plus parfait de l’âme : faites de cette idée