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perdra le jour où la France aura compris que la première vertu d’une nation qui veut être grande est de savoir respecter la loi.

Les quatre-vingts postes de sergens de ville sont intéressans à visiter ; au premier abord pourtant, ils ne révèlent rien de curieux. C’est dans la plupart des cas une grande chambre grisâtre mal pavée, munie de lits de camp où s’étalent des matelas sans oreiller ; une table de bois noirci, un ou deux becs de gaz et un poêle de fonte, complètent l’ameublement. Un examen moins superficiel montre bien vite l’utilité multiple des hommes qui habitent là et se délassent de leurs fatigues en fumant leur pipe, en lisant le journal ou en jouant aux dames. Use civière à sangles est accrochée dans un coin, prête à se déplier pour recevoir le maçon tombé de son échafaudage, l’homme écrasé par une voiture, l’enfant qui s’est brisé la jambe. Cette précaution n’est point nouvelle, et Mercier raconte que c’est de son temps qu’on mit des civières dans les postes afin de remplacer les échelles dont on se servait auparavant, en guise de brancards, pour transporter les malades ou les blessés dans les hôpitaux. Sur une planche sont symétriquement rangés des seaux de toile, des lampions et des torches ; contre la muraille sont appendus, côte à côte avec les proclamations, les règlemens imprimés et les ordres du jour manuscrits, des tableaux qui contiennent l’adresse des médecins, des pharmaciens, des sages-femmes, des vétérinaires, des commissionnaires, des postes de pompiers et des porteurs d’eau du quartier. On y lit aussi celle des agens fontainiers, qui seuls ont le droit d’ouvrir les bornes-fontaines. La séparation des pouvoirs est un excellent principe, mais à la condition qu’il ne soit pas poussé à l’excès ; puisqu’en prévision de l’incendie on a armé les postes de police de tout ce qui peut contribuer à le combattre, pourquoi la clé des fontaines publiques n’y est-elle point déposée ? Le feu a le temps de faire bien des ravages pendant que l’on court réveiller l’homme indispensable, pendant que celui-ci s’habille et vient lâcher les robinets ; n’était-il pas plus simple puisque les sergens de ville, qui veillent nuit et jour, sont les premiers le plus souvent à signaler un sinistre, de leur donner la possibilité d’ouvrir sans délai, sans déplacement inutile, toutes les fontaines d’un quartier, et de permettre ainsi à une chaîne, à des secours, de s’organiser efficacement ?

A presque tous les postes sont annexés des violons, sortes de prisons provisoires destinées à garder momentanément les malfaiteurs, et qui sont au nombre de deux, l’un pour les femmes et l’autre pour les hommes. C’est un cachot plus ou moins grand, garni de bancs de bois scellés dans la muraille, éclairé par une lucarne placée très haut, de manière qu’on ne puisse se pendre aux barreaux de fer qui la protègent, et muni d’un immonde baquet