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leur charrue de bois, — l’emploi du fer leur inspirait une répugnance superstitieuse, — ils vivaient de la chasse et de la pêche, et l’hydromel recueilli dans les ruches abondantes du pays causait parmi eux autant de ravages que le fait parmi les Hurons et les Sioux l’eau-de-feu des faces pâles. C’est aussi au wigwam du Huron et du Sioux que fait penser la numa lithuanienne, la tente de bois que dressait de temps en temps le pasteur pour abriter son « bétail et la famille, » et la femme y apparaît dans l’humble condition de la squaw. Dégradée par la polygamie, elle est l’esclave résignée d’un maître despotique qui la vend à son gré et tue ses enfans ; elle partage ses plus rudes travaux et l’accompagne à la guerre. La guerre était après la chasse la grande préoccupation des habitans de la numa. A la voix de leurs princes, sur l’ordre transmis par le cywun (staroste, castellanus), ils accouraient vêtus de peaux de mouton aux polis retroussés, armés de leurs arcs, les carquois bien munis de flèches empoisonnées. A l’exemple des Tatares, ils emportaient avec eux des outres remplies de lait de cavale ; comme les Tatares aussi ils traversaient les fleuves à la nage en s’attachant à la queue de leur monture.

Ce n’étaient pourtant ni des Tatares ni des Peaux-Rouges que ces ancêtres de Kosciuszko et de Miçkiewicz ; ils appartenaient à la noble et glorieuse race aryenne, et, dans la langue qu’ils parlaient au XIVe siècle et que parlent encore à l’heure qu’il est les pauvres paysans des vallées du Niémen et de la Wilia, la philologie comparée constate avec un intérêt légitime l’idiome européen le plus rapproché du sanscrit primitif, du sanscrit du Rig-Véda, plus rapproché que le gothique, le celtique ou la langue d’Homère et d’Eschyle ! Et de même dans les « hideuses superstitions » que les pieux écrivains du moyen âge ne cessent de déplorer chez « les Sarrasins du nord, » dans ce panthéisme exubérant et touffu qui prêtait un génie particulier, une divinité distincte à toute chose, — au printemps, à l’hiver, à la chasse, à la numa, au lin et au chanvre, aux abeilles et aux fleurs, — il est aisé de reconnaître ce culte des forces et des phénomènes de la nature qui est le fonds commun des idées religieuses chez les différens peuples aryens. Quelques historiens et Szajnocha entre autres ont également essayé de rapprocher du trimurti indien les trois suprêmes divinités de la Lituanie (Perkunos, Potrimpos et Poklus), qui semblent en effet symboliser les mêmes principes de la création, de la conservation et de la destruction que personnifie la fameuse trinité de Brahma, de Vichnou et de Siva. On aurait tort cependant, croyons-nous, de trop insister sur cette similitude, car le trimurti est une conception toute brahmanique, très postérieure par conséquent à l’époque où s’accomplit la grande dispersion des Aryas ; mais l’Agni (ignis) des