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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/175

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remplissait d’une sorte de stupéfaction mêlée d’épouvante ; il se décida enfin à parler et dit : « Je ne sais pas où vous avez appris tout cela, mais c’est vrai ; je suis un évadé. »

Où donc ont-ils « appris tout cela ? » C’est en effet la question que chacun peut se poser. Il est facile d’y répondre. Si actif, si intelligent, si dévoué qu’il soit, le service de sûreté serait promptement débordé par la masse des malfaiteurs, si parmi eux il n’avait des alliés obscurs et inconnus qui, en échange de quelques tolérances administratives, apportent un contingent de renseignemens très précieux. Ce sont le plus souvent des repris de justice dont on souffre la présence à Paris à la condition qu’ils mettront sur la piste des crimes commis et faciliteront par toute sorte de moyens l’arrestation des coupables. On les appelle les indicateurs, et les services fort importans qu’ils rendent ne ruinent pas l’administration, car ils ne coûtent guère plus de 500 ou 600 francs par mois. Qu’on n’aille pas croire qu’ils reçoivent une paie régulière, non pas ; ils ont des gratifications proportionnelles à l’affaire : 5 fr. pour un vol simple, 25 francs pour un vol qualifié, 50 francs pour un assassinat. Il est difficile de s’en tirer à meilleur compte. Les indicateurs en correspondance avec la sûreté sont-ils tous à Paris ? Je l’ignore, mais je ne répondrais pas qu’il n’y en eût à Londres, à Bruxelles et dans d’autres grandes villes. On se fait une très fausse idée des voleurs ; on s’imagine volontiers qu’ils se gardent entre eux la foi jurée, et l’on parle avec quelque complaisance de « la probité du forçat. » Rien n’est moins vrai. Les plus hardis, les plus énergiques, ne résistent pas à quelques améliorations insignifiantes apportées pour eux au régime de la prison ; Lacenaire lui-même, malgré sa forfanterie, vendit la mèche, comme il disait lui-même, et livra ses complices. Par-dessus tous les autres, le voleur parisien dénonce sans scrupule ses camarades. Pourquoi ? D’abord « parce qu’il est voltairien et ne croit pas à la vertu, » — j’ai entendu le mot, — et puis parce qu’il redoute singulièrement d’être envoyé dans les maisons centrales et qu’à tout prix il veut faire son temps dans les prisons du département de la Seine ; il a beau être claquemuré, clos de grilles, être surveillé par des gardiens peu faciles à attendrir, ne pas même entendre les bruits de la ville, n’apercevoir le ciel qu’entre les hautes murailles d’un préau, il sent qu’il est encore à Paris, et, pour jouir d’une félicité si grande, il dit volontiers ce qu’il sait. Aussi on a dans les prisons parisiennes, au dépôt de la préfecture de police, des révélateurs auxquels on donne quelques sous de temps en temps et qu’on appelle la musique. Ils racontent les confidences qu’ils ont reçues, indiquent le vrai nom des individus qui cachent leur identité, et mettent bien souvent l’administration à