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résultat qui au premier abord semble tenir du miracle. Il y a quatre ans environ, trois Anglais entrent chez le chef du service de sûreté ; ils déclinent leurs noms, l’un est un des principaux agens de la police de Londres, les deux autres sont de riches bijoutiers de la Cité. Ils disent que, quatre jours auparavant, un commis a dévalisé complètement la boutique de ses patrons, a enlevé pour 400,000 fr. de bijouterie, que le voleur est sans doute à Paris, et qu’il serait urgent de le faire rechercher. Au signalement donné, le chef de service répond : « Je connais votre affaire ; » puis il fait extraire du dépôt un détenu qui était bien le coupable, et montre aux Anglais stupéfaits trois caisses qui contenaient les bijoux réclamés. L’émotion fut si forte qu’un des bijoutiers s’évanouit. On crut à un prodige, rien n’était plus simple. Le service de sûreté avait été prévenu qu’un jeune homme descendu au meilleur hôtel de Paris avait, le jour même de son arrivée, fait cinq engagemens au mont-de-piété ; on avait été faire une visite chez ce voyageur si fort au courant du prêt sur gage, on avait trouvé des malles où des bijoux étaient littéralement jetés en tas, et, flairant un crime, on avait arrêté l’un et saisi les autres[1].

Le service de sûreté n’a pas pour seule mission la recherche des coupables en vertu des arrêts, jugemens ou mandats de justice ; il prévient la perpétration autant que cela est possible, il arrête en cas de flagrant délit, aide le parquet dans les cas d’investigations urgentes et de renseignemens à recueillir sur place ; c’est lui qui démêle d’abord les affaires embrouillées, afin que la justice y voie clair et puisse marcher vers son but avec quelque certitude. Il assiste les commissaires de police dans leurs perquisitions ; de plus il rend compte de la conduite des repris de justice et des libérés en surveillance. Les ruptures de ban lui valent un surcroît de travail excessif. Grâce aux chemins de fer, tout individu interné en province a bien vite fait de rentrer à Paris, dans cette ville de son rêve perpétuel où il y a tant de cabarets, tant de filles, tant d’abris, tant de bons coups à faire ; on n’arrive pas seulement des départemens, on revient de plus loin, de Cayenne et de la Nouvelle-Calédonie ; depuis 1852 jusqu’au 1er décembre 1867, 1,005 forçats se sont évadés de ces deux colonies pénitentiaires. Quelques-uns, comme Giraud de Gatebourse, ont été, il est vrai, mangés par les crabes dans les vases où ils s’étaient englués en fuyant ; mais d’autres sont revenus : l’assassinat d’Argenteuil est là pour le prouver.

  1. Le plus curieux, c’est que la police anglaise, selon son usage, réclama le tiers de la valeur comme prime de capture, c’est-à-dire 133,000 francs. Les tribunaux anglais la déboutèrent. Les négocians envoyèrent 30,000 francs à M. Claude, chef du service de sûreté, qui naturellement les refusa.