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soubassement de la nouvelle façade du Palais de Justice. A son entrée au dépôt, le détenu reçoit un pain, car il est de principe à la préfecture que tout individu auquel on reproche un fait délictueux a pu être amené à le commettre excité par la misère et la faim. Là aussi, dans un greffe qui ne chôme guère, on relève les noms et signalemens de chaque personne arrêtée ; puis cette dernière est enfermée dans les salles communes, s’il n’y a pas d’inconvénient à la laisser communiquer avec les autres détenus, dans une cellule, si le secret est nécessaire. Il y a des salles et des préaux sévèrement, séparés pour les hommes, les femmes, les filles publiques et les enfans. Le service des hommes est fait par des gardiens, celui des femmes par des sœurs de Marie-Joseph. C’est là que les inspecteurs de la sûreté viennent chaque matin, dans une petite chambre isolée, interroger un à un les gens accusés de crimes ; c’est là qu’on les frime, c’est-à-dire qu’on les dévisage, qu’on les morgue, ainsi qu’on disait jadis, afin de voir dès l’abord s’ils ne sont point repris de justice. On essaie d’obtenir d’eux l’aveu du méfait reproché, et, lorsqu’il y a nécessité d’en questionner deux à la fois pour les amener à des contradictions utiles à la vérité, on a grand soin de les placer loin l’un de l’autre, quelquefois dos à dos, de façon qu’il leur soit impossible de communiquer entre eux, ou de se faire le moindre signe. On n’a point l’air de s’ennuyer au dépôt ; dans les grandes salles, en chante et l’on rit. Les poètes qui ont fait de la prison « le séjour des remords » me semblent avoir poussé la fiction un peu loin, La nuit, on dispose des matelas le long des murs, et tout ce gibier de police correctionnelle et de cours d’assises dort un peu pêle-mêle, beaucoup, trop même, et la présence de quelques gardiens est impuissante à empêcher certains désordres de se produire. Il eût été vivement à désirer que l’emplacement réservé au dépôt eût permis de multiplier assez les cellules pour que chaque détenu fût isolé. La réunion des malfaiteurs dans le même local, malgré la surveillance dont ils sont l’objet, est dangereuse d’abord au point de vue de la morale, qu’ils outragent avec un cynisme incompréhensible, ensuite à cause de la facilité qu’ils rencontrent à communiquer avec leurs camarades, souvent leurs complices, à préparer des alibi, à faire disparaître des preuves et à organiser des moyens de défense qui sont de nature à dérouter l’action de la justice. Il y a non-seulement des malfaiteurs au dépôt, mais on y trouve toutes les épaves humaines ramassées sur le pavé de Paris ; vieillards en enfance oubliés sur un banc, enfans égarés, étrangers perdus ne sachant pas un mot de Français, suicidés sauvés ; qui refusent de s’engager à ne point recommencer, fous furieux qui couraient dans les rues, orphelins abandonnés à la