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primitive, il faut voir Tite-Live raconter les guerres de Rome contre les cités latines et les peuples italiens ou étrangers, les luttes entre les classes et les partis sur le forum ou au sénat. Assurément c’est bien là une histoire sérieuse où la pensée politique de l’auteur se fait jour sous les ornemens de la plus belle rhétorique ; mais dans cette grande œuvre encore plus oratoire qu’historique le but que se propose Tite-Live est tout patriotique. Refaire une âme romaine à ce peuple qui s’énerve et ne conserve de romain que le nom, la refaire par l’histoire, alors que la tribune ne peut plus lui faire entendre ses leçons, telle est la noble tâche qu’il poursuit à travers tous les développemens de son œuvre. « Le principal et le plus salutaire avantage de l’histoire, c’est d’exposer à vos regards, dans un cadre lumineux, des enseignemens de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois faire dans ton intérêt, dans celui de la république ; voici ce que tu dois éviter, car il y a honte à le concevoir, honte à l’accomplir. Au reste, ou je m’abuse sur mon ouvrage, ou jamais république ne fut plus grande, plus sainte, plus féconde en bons exemples[1]. » Tite-Live nous montre on ne peut mieux comment pensent, parlent, agissent et combattent ces sénateurs, ces tribuns, ces généraux, ces partis, ces légions ; mais la nécessité intérieure qui domine ce conflit des intérêts et des passions, la nécessité extérieure qui régit le développement de cette ambition incessamment conquérante, le génie de la formule religieuse ou juridique qui préside à tous les faits intérieurs ou extérieurs de cette histoire, en un mot le véritable secret de l’explication des choses romaines, Tite-Live ne le livre point à ses lecteurs, parce qu’il ne le possède pas bien lui-même. N’y a-t-il point, par exemple, de quoi faire sourire un historien moderne, tel que Montesquieu, quand il voit le grave Tite-Live terminer l’histoire de la seconde guerre punique par un parallèle entre Alexandre, Annibal et Scipion, comme si l’issue de cette terrible lutte avait été simplement une question de supériorité militaire entre les chefs ?

Polybe montre un tout autre sens historique, quand il cherche l’explication de la supériorité politique et militaire de Rome dans la comparaison de ses institutions avec celles des autres grands peuples de l’antiquité. Polybe toutefois n’est encore qu’un historien politique plus profond que les autres. Pourquoi Rome a-t-elle conquis le monde, pourquoi l’empire a-t-il succédé à la république, quelles sont les vraies causes, les causes premières de la grandeur et de la décadence romaine ? Tous les historiens latins, Salluste et Tacite comme Tite-Live, n’ont qu’un mot pour l’expliquer : la vertu républicaine perdue dans le luxe.

  1. Histoire romaine, — Préface.