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Après ces grands historiens de l’antiquité, il est à peine nécessaire de nommer un rhéteur comme Quinte-Curce, qui a voulu faire de l’histoire d’Alexandre une sorte de poème épique en prose fleurie et déclamatoire. Il est trop clair que dans un tel livre il ne faut chercher aucun enseignement sérieux. L’héroïsme d’un homme a tout fait dans cette merveilleuse conquête de l’Asie. Avec infiniment plus de naturel et de charme, Froissard n’a pas compris ni écrit autrement l’histoire des temps chevaleresques. A qui veut voir dans leur intime personnalité tous ces acteurs de l’histoire ancienne, un grand et beau livre est ouvert, ni histoire ni roman, dans lequel se résume toute la pensée des historiens de l’antiquité. Les Vies des hommes illustres sont un véritable livre de psychologie historique. Là on assiste aux pensées, aux sentimens, aux passions, qui ont déterminé les actes extérieurs des personnages. Partout on les retrouve en pleine possession d’eux-mêmes, en pleine conscience de leur liberté, en parfaite confiance dans la puissance de leurs facultés et dans l’efficacité de leurs œuvres. Périclès, Démosthène, Alexandre, Caton, César, ne doutent point, dans leur action politique ou militaire, des effets de leur éloquence, de leur courage, de leur vertu, de leur génie. Chacun a le sentiment de sa force propre, rarement de la force des choses qui le favorise ou l’entrave réellement. La volonté des individus ou des partis, voilà les obstacles ou les auxiliaires dont se préoccupe la prudence de ces personnages. Tous auraient dit volontiers comme l’un d’eux : quid times ? Cœsarem vehis. C’est par le caractère tout personnel de ses récits que le livre de Plutarque peut être considéré comme l’expression idéale de cet esprit historique de l’antiquité, dont Hérodote, Thucydide, Xénophon, Tite-Live, Salluste, Tacite, sont les plus éclatans organes. Bien que très curieux des choses du dehors, c’est à la partie individuelle et personnelle des événemens historiques que s’attache Plutarque, et il est facile de voir que les choses extérieures l’intéressent surtout par l’impression qu’elles produisent sur l’âme de ses héros. Or c’est là précisément le côté mis en relief par tous les écrivains de l’antiquité, qu’il s’agisse des individus ou des nations.

L’histoire littéraire et esthétique, telle que la comprennent les anciens, se traite dans le même esprit et par la même méthode que l’histoire politique. Inspiration d’un génie divin ou œuvre d’un génie tout personnel, voilà à quoi se résume toute leur critique ; nulle idée de rapport avec la nature extérieure, la race ou la société à laquelle appartiennent les artistes. On sait comment cette critique explique Homère, Hésiode et les vieux poètes des temps primitifs. Platon définit le poète et la poésie en vrai théologien ; le poète est un être léger, ailé, qui ne touche point à la terre et doit tout à une communication d’en haut. Son chant n’a rien de commun