peuples dont les écrivains anciens racontent l’histoire se réduisent, pour la plupart, à des cités fort petites par l’étendue du territoire et le nombre des citoyens. La vie politique de ces cités était concentrée sur la place publique, où l’éloquence décidait de tout, au moins dans les jours de liberté. Les orateurs, les hommes d’état, les hommes de guerre, avaient donc une action très grande sur les destinées de la république. Il suffisait d’un discours, d’une émeute, d’une conspiration pour changer ces destinées, pour lui imposer la tyrannie ou lui rendre la liberté, pour amener le triomphe d’un parti. On comprend dès lors comment la conscience de la puissance individuelle devait contribuer à donner aux personnages historiques de l’antiquité cette liberté d’allure, cette audace d’initiative, cette confiance dans le succès de leurs efforts personnels, qui manquent généralement aux personnages historiques des temps modernes. Jamais l’individu n’est écrasé par la masse dans ces petites sociétés. Voilà aussi, entre autres raisons, ce qui explique comment la méthode des historiens des républiques italiennes se rapproche autant de celle des historiens antiques. Si elle en est l’image assez fidèle, c’est que les cités italiennes étaient à beaucoup d’égards la copie des anciennes cités.
La pensée d’élever l’histoire au rang d’une science appartient au siècle dernier. On a fait à tort à Bossuet l’honneur de le considérer comme le créateur de la philosophie de l’histoire dans ce grand Discours sur l’histoire universelle, qui ne serait que le magnifique développement d’un lieu-commun de théologie, si la science historique de l’antiquité ne s’y retrouvait souvent avec cette haute manière de dire les choses qui n’appartient qu’à Bossuet. Dans ce tableau des événemens tracé à si grands traits, où il veut montrer comment l’homme s’agite tandis que Dieu le mène selon le mot d’un autre théologien, il n’explique rien d’une façon instructive en voulant tout rapporter à un dessein de la Providence. S’il existe une conception spéculative à laquelle on puisse rattacher la philosophie de l’histoire telle que l’ont entendue les modernes, ce n’est pas dans la théologie de Bossuet, c’est dans la métaphysique de Leibniz qu’il faut la chercher. En soumettant l’ordre des choses physiques et morales au principe de la raison suffisante, Leibniz a ouvert la voie à la doctrine du déterminisme universel, doctrine qui est d’ailleurs la sienne, et dont il a donné la formule. En professant que tout se tient et se lie dans la succession des choses, que le présent est gros de l’avenir, comme le passé était gros du présent, il a posé le principe de la théorie de l’évolution fatale et traditionnelle.