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À vrai dire, ni la philosophie de l’histoire ni la science de l’histoire ne commencent avant le XVIIIe siècle, où se fait jour l’idée de la perfectibilité et du progrès universel. C’est des promoteurs de cette idée, c’est de Lessing, Herder, Turgot, Condorcet, que date la conception d’une histoire universelle dans laquelle cette loi du progrès trouverait son application sur la plus grande échelle possible. Dans son livre des Idées sur l’histoire de l’humanité, Herder a des définitions fécondes et des images heureuses qui ont inspiré bien des écoles de philosophie historique. « L’histoire, nous dit-il, est la science des lois du progrès dans les sociétés humaines ; elle est l’épanouissement de la fleur de l’humanité. » Et l’explication de ces formules n’est pas moins remarquable. « Comme l’homme, dans l’ordre des choses naturelles, ne s’enfante pas lui-même, il est tout aussi loin de se donner l’être quand il s’agit de ses facultés intellectuelles… Chacun de nos développemens est ce que l’ont fait être le temps, le lieu, l’occasion, toutes les circonstances de la vie. C’est sur ce principe que repose l’histoire de l’humanité. C’est lui qui fait que l’histoire du genre humain est nécessairement un tout, c’est-à-dire, une chaîne de traditions depuis le premier anneau jusqu’au dernier. » Nul n’a exprimé avec plus de force que Herder cette fatalité naturelle qui serait la loi du développement des individus, des sociétés et de l’humanité tout entière. « Quel que tu à les été à ta naissance, tu es ce que tu devais être et là où tu devais être. N’abandonne pas ta chaîne, ne t’élevé pas au-dessus, mais restes-y fermement attaché. » Assurément ni Turgot, ni Condorcet, ni Montesquieu, ni Vico, n’eussent accepté une pareille formule de fatalisme dans un siècle où l’on avait une foi si entière à l’influence des idées et à l’action des volontés, et qui a fini par un drame révolutionnaire bien différent de l’espèce d’évolution végétative dont parle Herder ; mais il suffit d’ouvrir tel livre de philosophie historique contemporaine pour se convaincre que les idées de Herder ont fait école parmi les historiens de notre temps.

C’est à Montesquieu et à Vico que commence véritablement la science de l’histoire ; nous disons la science et non la philosophie, parce que la science proprement dite ne dépend d’aucune des hautes spéculations qui constituent en réalité la philosophie de l’histoire, telles que les idées de perfectibilité humaine, de progrès universel, d’évolution graduelle et nécessaire. La science de l’histoire, comme la science de la nature, se reconnaît à une tendance certaine et précise, la préoccupation de la recherche des lois qui régissent la succession ou la combinaison des faits. La méthode est donc la même pour les deux ordres de sciences, naturelles et historiques, et cette méthode n’est autre que l’induction, dont Bacon a été l’inventeur. Aussi retrouve-t-on dans les œuvres historiques