personnages politiques ne sont que les ministres d’une nécessité sociale, et que tels auteurs ne sont que les organes d’idées et de sentimens généraux. Voilà ce qui explique pourquoi les grands hommes font tout autre figure sur la scène selon le point de vue antique ou selon le point de vue moderne. Tandis que là ils semblent, à part le destin, en être les rois absolus, ici ils n’en sont plus que les ministres, obéissant à un souverain qui leur dicte ses volontés du fond du théâtre où l’historien les montre aux spectateurs.
Pour bien juger de la différence des deux méthodes historiques, ancienne et moderne, il faut comparer les œuvres des historiens sur le même sujet, l’antiquité. Qu’on lise les histoires grecques et romaines d’Otfried Muller, de Thirlwall, de Grote, de Niebuhr, de Michelet, de Mommsen, de Fustel de Coulanges, après les classiques compositions des écrivains antiques ; on sera tout surpris du nouvel aspect que prennent les choses dans l’exposition des historiens modernes. Derrière les acteurs apparaissent les causes. Où Hérodote n’avait vu que l’action des hommes dans la lutte entre la Grèce et l’Orient, nos historiens reconnaissent surtout l’effet des institutions ; ils montrent comment cette poignée de braves est sortie des gymnases de la Grèce pour combattre à Marathon, aux Thermopyles, à Salamine, à Platée, des multitudes sans exercice, sans discipline et sans armes suffisantes. Où Thucydide avait mis en jeu les partis et les institutions politiques, nos historiens font intervenir les causes géographiques, économiques, ethnographiques, qui expliquent l’avènement et la durée de ces institutions et de ces partis. Pourquoi ici une démocratie, là une aristocratie, ailleurs une constitution mixte ? Les historiens modernes répondent à ces questions par une formule qui explique tout. C’est par une nécessité ethnographique et géographique que Sparte est une aristocratie militaire ; c’est par une autre nécessité géographique et économique qu’Athènes est une démocratie. Si Sparte n’est et ne peut être qu’un camp, Athènes est et doit être tout à la fois un camp, un comptoir, un atelier, un théâtre, une académie, une tribune, en un mot le vrai sanctuaire de cette civilisation hellénique dont un héros encore barbare, mais fils de Philippe et élève d’Aristote, n’a été que le missionnaire par la conquête. Où Quinte-Curce et Plutarque ne voient guère qu’une épopée militaire, la science moderne admire une des plus grandes œuvres de la civilisation du monde. Il en est de même pour l’histoire romaine. Pourquoi les grandes destinées de Rome, pourquoi les luttes de son aristocratie et de sa démocratie, pourquoi la république d’abord et ensuite l’empire ? C’est à Niebuhr, à Michelet, à Mommsen, qu’il faut demander la véritable et définitive explication que ni Cicéron, ni Salluste, ni Tite-Live, n’ont donnée. C’est la science historique de notre temps qui a