fait comprendre comment Rome légiste, militaire et conquérante a dû commencer par une monarchie, puis se développer en une république aristocratique pour finir par l’empire des césars, tout cela en vertu de nécessités supérieures qui ont dominé l’action des individus et des partis. Ceci n’empêche point nos historiens d’admirer la vertu de Caton et de juger l’ambition de César ; mais il faudrait, après leurs démonstrations, que l’ardeur des sentimens républicains fût bien forte pour faire illusion sur une réalité que Cicéron et Brutus lui-même ont fini par entrevoir. Il n’y avait plus de république après les Gracques. Le duel atroce de Marius et de Sylla, le triumvirat de Crassus, de Pompée et de César, avaient détruit le prestige de la loi, sans lequel nul gouvernement républicain ne peut vivre. Si César eût manqué à la servitude romaine, un autre maître se fût rencontré. Ni le poignard d’un Brutus ni le glaive d’un Chéréa ne pouvaient rien pour la résurrection de l’antique liberté. Voilà ce que la science historique a mis hors de doute. L’ouvrage le plus curieux peut-être qui ait paru récemment comme spécimen de la méthode moderne, c’est un livre ingénieux et souvent profond où M. Fustel de Coulanges trouve moyen d’enfermer dans une formule unique, le culte des morts, tout le système des institutions religieuses, domestiques, civiles, qui constituent la cité antique.
Cette fatalité intérieure ou extérieure à laquelle la philosophie de l’histoire donné le nom de force des choses, réelle dans les temps anciens comme dans les temps modernes, est d’autant plus difficile à reconnaître au milieu des faits politiques racontés par les historiens de l’antiquité, que, la soupçonnant à peine, ils l’ont laissé deviner aux historiens de nos jours sur des indications vagues et incomplètes. Il en est tout autrement dans l’histoire moderne, où cette fatalité éclate dans des proportions en rapport avec la grandeur des théâtres sur lesquels elle joue son rôle à côté de la volonté et de l’intelligence humaines. Dans ces grands états qui se nomment l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la force des choses, résultante de causes très diverses, mais toutes également fatales, fait sentir toujours et partout son immense et irrésistible impulsion avec une évidence qui a frappé les historiens de notre temps. Voilà ce qui fait qu’ils ont cherché à peu près tous à étudier, à analyser ; à classer les élémens dont se compose cette résultante, et à en déterminer les lois.
Pour s’en assurer, il n’est pas nécessaire de passer en revue tous les noms et toutes les œuvres de la science historique des temps modernes. Il suffit de rappeler quelques grands sujets tirés de l’histoire de France, où la nouvelle méthode a été pratiquée avec le plus de succès. L’histoire de notre pays avait été, jusqu’à notre siècle, à peu près réduite à l’histoire de la monarchie française,