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la libre possession d’eux-mêmes. Ces hommes qui se provoquent et s’accusent, qui s’étreignent au pied de l’échafaud, n’ont rien des héros de Plutarque ; ils ne conservent dans leur éloquence passionnée ou dans leur action furieuse que tout juste ce qu’il faut de conscience et de volonté pour rester responsables devant la postérité. Voilà le secret de leur force et de leur faiblesse, de leurs vertus et de leurs crimes. Un seul personnage peut-être apparut sur la scène vers la fin de la tempête, qui a été vraiment libre et fort dans son orgueil solitaire, d’autant plus maître de lui qu’il n’a jamais été en communication avec les grands courans de la patrie ou de l’humanité : c’est Napoléon, digne par son indomptable personnalité de prendre place parmi les héros de Plutarque, si son âme eût été à la hauteur de son intelligence. La vraie grandeur des personnages historiques n’est ni dans l’égoïsme qui fait les tyrans, ni dans l’entraînement qui fait les tribuns : elle est dans la force de la pensée, dans l’énergie du caractère, mises au service des idées justes, des sentimens généreux, des intérêts légitimes des sociétés que représentent ces individus. Être aussi personnel dans l’exécution qu’impersonnel dans le but, être aussi sympathique aux idées et aux sentimens d’un peuple qu’étranger ou résistant à ses passions, voilà le véritable héros révolutionnaire, dont aucun d’entre nos plus célèbres personnages ne nous semblé offrir le type. Combien en est-il qui aient su faire de grandes choses sans qu’il en coûtât rien à leur conscience ?

Le mérite des historiens de notre révolution n’est point d’avoir compris les nécessités politiques ou économiques évidentes qui pèsent sur le développement de ce grand drame, telles que la guerre étrangère, la guerre civile, la disette, la détresse des populations de Paris et des grandes villes ; c’est surtout d’avoir senti l’âme de cette révolution, avec ses passions bonnes et mauvaises, palpiter dans le cœur de tous les hommes qui ont été chargés de la diriger ou de la déchaîner. Ce n’est pas seulement la force des événemens, c’est aussi la force des sentimens et des impressions populaires qui a fait la fatalité sous laquelle la volonté et la conscience de ces chefs ont trop souvent fléchi. Telle est la véritable philosophie de cette histoire ; elle n’a rien de commun avec les classiques récits de l’antiquité. On le voit bien dans le récit que nous a fait M. Michelet de la nuit du 4 août. Dans ce magnifique concert de sacrifices, quelles voix dominent ? Celles de la France et de la révolution. « Jamais le caractère français n’éclata d’une manière plus touchante dans sa sensibilité facile, sa vivacité, son entraînement généreux. Ces hommes qui mettaient tant de temps, tant de pesanteur à discuter la déclaration des droits, à compter, peser les syllabes, dès qu’on fit appel à leur désintéressement, répondirent sans