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hésitation ; ils mirent l’argent sous les pieds, les droits honorifiques, qu’ils aimaient plus que l’argent… Les étrangers présens à la séance étaient muets d’étonnement ; pour la première fois ils avaient vu la France, toute sa richesse de cœur. Ce que des siècles d’efforts n’avaient pas fait chez eux, elle venait de le faire en peu d’heures par le désintéressement et le sacrifice. »

Où la méthode moderne tranche le plus visiblement avec la méthode antique, c’est dans l’histoire de la littérature et des arts. Le mot de Charles Nodier, attribué à Mme de Staël, est devenu de plus en plus par les études de la critique esthétique la formule de cette méthode : « la littérature est l’expression de la société. » Là surtout la réalité esthétique, art, éloquence, poésie, roman, n’est plus considérée seulement comme une œuvre libre et toute personnelle du génie d’un homme, ainsi que l’avaient compris Platon, Aristote, Horace, Quintilien, dans l’antiquité. La critique moderne y voit à côté du génie propre de l’individu le génie de la race, du peuple, de l’époque où est né l’orateur, le poète, l’artiste, le romancier ; elle montre l’individu se nourrissant de la substance, s’inspirant de l’âme de ce génie, recueillant et méditant ses traditions, ses mœurs, ses idées, ses sentimens, tous les élémens de sa vie passée ou présente, pour les reproduire par une création véritable de son génie personnel. Ainsi a été refaite la critique des littératures de l’antiquité, ainsi a été fondée la critique des littératures modernes : sous l’empire d’une pareille méthode, l’histoire littéraire est devenue une science, de même que l’histoire politique.


III

On peut renouveler ici pour l’histoire la distinction déjà faite à propos de la physiologie. La science historique se compose d’observations et de conclusions. Tant qu’elle s’en tient à la partie expérimentale et analytique de sa tâche, elle est dans le vrai, et la critique n’a qu’à enregistrer et admirer des résultats incontestables. Les rapports qu’elle constate, les influences qu’elle signale, les conditions et les causes qu’elle détermine, sont des faits dont il n’est pas plus permis de douter que de la réalité des événemens politiques ou des œuvres esthétiques elles-mêmes. Sans être fataliste le moins du monde, on ne peut méconnaître la part de fatalité que la nature même des choses introduit dans l’activité politique ou esthétique des sociétés humaines. C’est une vérité acquise que rien ne naît, ne se forme, ne se développe, ne vit et ne dure à l’état d’isolement et d’abstraction, pas plus dans la vie des peuples que dans celle des individus. Il n’y a donc qu’une méthode vraiment