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si bien qu’en peu de jours on ne savait plus trop ce qu’on faisait, et le gouvernement s’est cru obligé de proroger la chambre, soit pour laisser tomber tout ce feu imprévu, soit pour se donner à lui-même le temps de modifier ses projets financiers, qui étaient menacés d’une mauvaise fortune, s’ils étaient discutés immédiatement. Cependant ce n’est pas tout : des sphères politiques, le trouble est instantanément passé dans le pays, ou du moins dans une partie du pays. Certaines villes, Turin, Vérone, Naples, Parme et surtout Milan ont eu leurs soirées tumultueuses. Le nom de M. Lobbia, le blessé de Florence, est devenu un mot d’ordre d’agitation. On s’est attroupé dans les quartiers les plus riches de Milan, on a crié, on s’est colleté avec la police et avec les carabiniers, on s’est fait arrêter ; bref, il y a eu une reproduction à peu près complète de nos scènes du boulevard Montmartre, tant les bons exemples sont contagieux ! Que signifient en réalité ces agitations italiennes ? L’accident malheureux de M. Lobbia a pu en être le prétexte, mais ce n’est pas suffisant pour expliquer ces mouvemens tumultueux éclatant sur plusieurs points à la fois. Que l’influence de nos émotions parisiennes se soit fait sentir au-delà des Alpes, c’est possible encore, quoiqu’en définitive il n’y ait aucun lien apparent entre les scènes de Paris et celles de Milan. Au fond, ce n’est rien de plus, rien de moins peut-être que l’explosion décousue et assez impuissante d’un travail républicain qui a recommencé depuis peu en Italie. On se souvient qu’une conspiration était découverte à Milan il y a quelques mois, et cette conspiration, qui avait ses complices à la frontière suisse, devait bien avoir quelque fondement, puisque le conseil fédéral helvétique a cru devoir interdire le séjour de Lugano à Mazzini. C’est le même mouvement qui continue, et on a même aujourd’hui une preuve directe, significative, de cette action persévérante du terrible agitateur dans une lettre de lui que publie un journal de Gênes. Cette lettre est curieuse comme révélation d’une âme solitaire accoutumée aux machinations mystérieuses. C’est l’aveu d’un conspirateur qui s’érige lui-même en arbitre des destinées de sa nation.

Ainsi voilà un pays qui en quelques années a gagné en indépendance et en liberté ce que d’autres peuples ont mis des siècles à conquérir. L’unité nationale est désormais incontestée ; la presse a les franchises les plus étendues, le parlement exerce librement ses prérogatives. Tout est possible par la propagande légale et pacifique. N’importe, cela ne suffit pas ; il se trouve un homme doué d’assez d’orgueil pour tenter d’imposer la dictature de ses rêves. Il pourrait aller au parlement et soutenir ses idées ; il n’aurait qu’à vouloir pour vivre dans sa patrie, et il préfère rester au dehors ; il dédaigne de se mêler à la vie de tout le monde, de se servir de la liberté, et du sein de sa solitude il agite clandestinement le pays, il cherche à ébranler une armée qui est le bouclier de l’indépendance nationale ; de temps à autre, il vient dire gravement dans une