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eût fait de ces superstitions le thème d’une de ses fantaisies à la manière de Callot. A défaut du conteur berlinois, d’autres en ont eu l’idée, et la boutade fantastique existe ; je me souviens de l’avoir lue quelque part, sous forme d’une lettre écrite par Mozart de l’autre monde et rendant compte d’une représentation du Prophète, représentation à coup sûr fort extraordinaire et de nature à réjouir une âme aussi passionnément éprise d’idéal que le fut Meyerbeer à l’égard de l’exécution de ses propres œuvres. — Jugez plutôt : la Malibran chantait Fidès, la Faustina Hasse Bertha ; du rôle de Jean, devinez qui s’était chargé ? Alexandre Stradella, celui dont les accens incomparables tiraient jadis aux brigands des larmes de compassion, Stradella, dont la voix, à ce qu’il paraît, n’a rien perdu, et qui charme aujourd’hui les diables d’enfer en leur chantant Pieta, signore, comme elle charmait autrefois les détrousseurs de grand chemin. « Pour que vous puissiez avoir une idée du soin apporté dans la distribution des moindres rôles, poursuivait le correspondant d’outre-tombe, apprenez que le Rubini de mon temps, Raaf, ce ténor par excellence, qui créa mon Idoménée, avait dû se contenter de l’humble partie de ce paysan auquel est échu pour tout emploi d’apprendre en quatre mots au public que Jean sait par cœur toute la Bible.

Il est dévot et sait par cœur toute la Bible.

« Quant à l’orchestre, savez-vous qui le dirigeait ? Gluck en personne. La mise en scène répondait à la distribution. Au troisième acte, les patineurs avaient pour s’escrimer tout un lac de vraie glace, ce qui nous a permis de jouir à notre aise de ce chœur délicieux qui sert d’accompagnement au ballet, et qui, pour les auditeurs de la terre, est toujours resté un secret, grâce aux roulettes des patins qui vous assourdissent d’un bruit de crécelle. De même qu’on avait de la vraie glace, on eut aussi un vrai soleil pour le lever de l’aurore qui termine l’acte. Je me tais sur les merveilles de la scène du couronnement, et me borne à vous informer que, dans l’incendie qui éclate si tragiquement au milieu de la bacchanale de la fin, un vieux reste du feu céleste qui dévora Sodome et Gomorrhe trouva son emploi. » La lettre continuait sur ce ton, mêlant à la plaisanterie des critiques où le trait acéré ne manque pas, et qui portent surtout, si l’on se rappelle que c’est Mozart qui parle. « Peut-être dans le monde que vous habitez trouvera-t-on quelque intérêt à la correspondance que je vous adresse, car moi aussi de mon temps je passai aux yeux d’un certain nombre d’honnêtes gens pour un compositeur dramatique sachant assez bien son affaire, et, à vrai dire, l’homme qui a écrit le Prophète n’est point, tant s’en faut, un génie ordinaire. Le quatrième acte des Huguenots jouit parmi nous d’une très haute estime, et le premier acte de ce Prophète au point de vue du théâtre est excellent. Inclinons-nous aussi devant la scène de la cathédrale de Munster, et goûtons au passage avec délice l’adorable chant