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montre ici moins soutenu que d’ordinaire, et, sauf quelques momens exceptionnels où l’inspiration touche à des hauteurs inusitées, la langue affecte je ne sais quelle âpreté qui vous fait regretter l’abondance et le style des beaux dialogues si dramatiques de Robert et des Huguenots. Un de ces points culminans dont je parle, celui que notre admiration ne se lassera jamais de signaler, est la scène de la cathédrale. Devant cette puissance de combinaison, devant cette prodigieuse habileté à coordonner, à conduire dans la plus magnifique harmonie d’un ensemble architectural tous ces élémens qui se juxtaposent sans se heurter, devant cet amoncellement systématique de difficultés colossales aussitôt résolues, l’esprit s’arrête émerveillé ; on pense à l’art des Michel-Ange, des Goethe, et puisque j’ai prononcé ce nom, revenons à Faust pour un instant en manière de simple parenthèse. Loin de moi l’idée de vouloir agiter à plaisir les comparaisons. Il est cependant bien difficile, quand on passe sa vie au milieu des choses de l’imagination, de ne point céder à l’invite. Le parallèle ici s’établit malgré vous, et forcément cette scène d’église à laquelle vous assistez ce soir vous donne à réfléchir sur celle que vous avez entendue avant-hier et qu’après-demain encore vous entendrez. Le hasard a parfois de ces malices dont ne se serait jamais avisé votre plus cruel ennemi. Il fallait donner au public de l’Opéra le spectacle de cet immense quatrième acte du Prophète alternant avec la représentation de l’acte de l’église dans Faust pour que ce public, qui n’a que faire de notre esthétique et ne raisonne point ses sensations, comprît enfin d’où lui venait ce vide qui succède pour lui aux émotions énervantes de l’acte du jardin. « Ceci tuera cela, » disait Victor Hugo ; ce plein tuera ce vide, et ce ne sera point en vérité grand dommage, car, s’il y a dans la partition de Faust de charmans passages que l’admirable diction de Mme Carvalho, reprenant son rôle de Marguerite, a récemment de nouveau mis en toute lumière, on peut reconnaître que cet intermède de la cathédrale de Faust était tout entier à refaire, et qu’il n’était même pas besoin du voisinage du quatrième acte du Prophète pour réduire à sa valeur dramatique et musicale cette scène prétendue fantastique où le diable emboîte tout le temps le pas de l’orgue ni plus ni moins que s’il faisait sa petite partie de baryton dans un cantique du mois de Marie.

Tous ceux qui jadis ont vu M. Roger dans ce quatrième acte du Prophète se souviendront de l’effet qu’il y produisait par son jeu de physionomie. Lui et Mme Viardot, la mère indignée et menaçante et le fils qui la force à s’agenouiller par son magnétisme à la fois sévère et suppliant, formaient un groupe que les amateurs de curiosités dramatiques conserveront toujours dans quelque coin de leur musée. J’ai connu depuis bien des Fidès et bien des Jean de Leyde, et j’avoue qu’à l’exception de Johanna Wagner et du ténor viennois Ander aucun ne m’a laissé d’impression particulière. Ander avait des momens admirables. Il récitait le