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défendant jusqu’au dernier jour la doctrine de Stahl et repoussant les idées de Lavoisier. Quant à Cavendish, l’illustre inventeur de l’hydrogène, il publiait en 1784 une exposition détaillée de la théorie du phlogistique et la défendait par mille ingénieux argumens ; enfin Scheele, le grand chimiste suédois, mourut en 1786 sans avoir cessé de professer la doctrine du phlogistique ; il est vrai qu’il y avait apporté peu à peu divers tempéramens pour la mettre en harmonie avec les idées nouvelles.

Cependant le système de Lavoisier se répandait graduellement, et on y faisait rentrer un nombre de plus en plus considérable de corps. Les principes que le maître avait démontrés pour les combinaisons oxygénées s’appliquaient par extension aux corps dépourvus d’oxygène. Un sulfure résulte de la combinaison du soufre avec un métal, un phosphure renferme un métal uni au phosphore. Ces sulfures et ces phosphures, composés binaires, se combinent eux-mêmes deux à deux pour former des corps plus compliqués, des sulfosels ou des phosphosels. Ainsi toutes les combinaisons chimiques, celles qui contiennent de l’oxygène aussi bien que celles qui en sont dépourvues, ont une constitution binaire ; tel est le trait caractéristique du système. Les corps simples ou élémens s’unissent d’abord deux à deux, et les corps composés qui en résultent se combinent eux-mêmes suivant la même règle. C’est un dualisme universel.

Un langage chimique admirablement imaginé vint bientôt se mettre au service de cette théorie. Il y avait alors à Dijon un avocat général, Guyton de Morveau, qui consacrait à l’étude de la chimie les loisirs que lui laissait sa profession de magistrat ; il avait fait établir des cours de science par les états de Bourgogne, et il y professait lui-même la chimie et la minéralogie ; il fut depuis un des principaux fondateurs et l’un des premiers professeurs de l’École polytechnique, Guyton de Morveau avait été frappé, dans les cours qu’il faisait à Dijon, des inconvéniens que présentait le langage employé par les chimistes ; c’était un amas de mots bizarres inventés par les anciens alchimistes, un assemblage incohérent de qualifications qui n’apprenaient rien sur la nature des corps. Il s’ingénia pour créer de toutes pièces une nomenclature nouvelle, pour donner à chaque corps un nom rationnel qui en marquât la composition. Dès l’année 1782, il présenta ainsi un système complet ; mais il y fallut faire de profonds changemens, car Guyton n’avait pas accepté pleinement dès le début les idées de Lavoisier. Les chefs de la nouvelle école adoptèrent du moins le principe de la réforme proposée, et enfin, en 1787, les efforts combinés de Guyton, de Lavoisier, de Berthollet, de Fourcroy, aboutirent à la