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d’une pièce les unes avec les autres, et de là vient que la simplicité des rapports se maintient dans les corps complexes. L’explication que Dalton donnait ainsi des phénomènes était une pure hypothèse, et l’on pouvait dire à la rigueur qu’elle n’était pas nouvelle. Dans l’antiquité, Leucippe, Démocrite, Épicure, avaient professé une théorie des atomes ; mais quelle différence entre leur conception vague, arbitraire, et l’idée de Dalton, née de l’examen des faits, appuyée sur un ensemble important de phénomènes, et que l’on pouvait vérifier la balance à la main ! Dans la pensée de Dalton, les corps simples ou élémens étaient donc spécialisés par le poids de leur atome, et les poids atomiques devenaient le fondement de la chimie.

Cette doctrine se répandit rapidement en Angleterre. Elle fut exposée en 1807 par un disciple de Dalton, Thomson, dans un traité qui eut un grand succès (System of Chemistry). La chimie de Thomson fut traduite en français en 1808, et parut avec une préface de Berthollet, qui en combattait les conclusions. L’hypothèse de Dalton était en effet inconciliable avec les idées que Berthollet professait sur l’affinité, et qui étaient chez lui le résultat de longues et importantes recherches. Berthollet admettait que l’affinité agit également sur les corps en quelque quantité qu’ils soient mêlés, de telle sorte qu’ils sont aptes en principe à se combiner en proportions quelconques. Est-ce à dire qu’il niât absolument la loi des proportions multiples ? Il l’admettait dans une certaine mesure ; mais il la regardait comme un fait accidentel dû à des causes étrangères à l’affinité. Qu’arrive-t-il lorsqu’on met en présence des sels différens capables d’agir les uns sur les autres ? Ce sont les sels insolubles ou volatils qui se forment de préférence. Ils se forment parce qu’une force physique, la cohésion dans le premier cas, l’élasticité dans le second, vient triompher de l’affinité qui retenait les élémens dans d’autres combinaisons. Il faut ainsi un certain rapport entre la force physique et l’affinité pour que la nouvelle combinaison se produise, et elle ne se produit qu’au moment où ce rapport est atteint : de là vient que les élémens des corps entrent en proportions définies dans les composés ; mais quand l’affinité s’exerce seule, quand elle n’a pas à lutter contre des forces physiques, elle réunit les corps en toutes proportions. Telles étaient les vues de Berthollet, et on conçoit qu’il ne fût pas disposé à regarder les corps comme formés de petits blocs entiers et indivisibles. Il combattit donc vivement la théorie de Dalton ; mais elle avait trouvé en France un défenseur convaincu. Proust entama avec Berthollet un long et brillant débat, et vers 1810 la loi des proportions fixes en sortit triomphante.