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sans que cette combinaison fût défaite. Le jeune chimiste d’Alais montrait en cette occasion une grande confiance en lui-même ; il s’attaquait de front à l’imposante autorité du savant suédois. C’était David bravant Goliath. Berzélius accourut à la défense des principes menacés, et s’efforça de prouver que l’acide trichloracétique n’avait pas avec l’acide acétique les rapports que l’on supposait ; il en faisait un corps tout différent, un composé de sesquichlorure de carbone et d’acide oxalique unis à de l’eau. Et comme cette sorte de scission entre les deux parties de la molécule élémentaire ne paraissait pas suffisamment justifiée par les faits, Berzélius appelait à son aide mille artifices ingénieux, l’idée des « copules, » par exemple. Les combinaisons copulées étaient des corps dont les formules étaient divisées en deux parties pour les besoins de la théorie ; mais une force secrète réunissait ces deux parties au point d’en faire un tout indissoluble. Bientôt d’ailleurs Berzélius était forcé dans ses derniers retranchemens. Non contens d’avoir montré comment l’acide trichloracétique dérive de l’acide acétique, les chimistes de la nouvelle école remontaient du premier acide au second ; ils chassaient le chlore atome par atome, et retombaient ainsi sur le corps primitif. Il n’était plus possible dès lors de nier le lien étroit de parenté qui unissait ces deux acides. Réduit à l’admettre malgré sa répugnance, Berzélius se rejetait d’un autre côté. « Les deux acides sont parens, disait-il ; c’est donc qu’ils sont l’un et l’autre des combinaisons copulées. » Cette conception des copules lui permettait de conserver dans les formules la notation dualistique et de sauver l’honneur du drapeau.

On conçoit que nous ne puissions, dans cette revue rapide, marquer que par un seul trait chacune des phases par lesquelles ont passé les différentes doctrines chimiques. C’est ainsi que nous résumons, dans un exemple unique, le long débat où Berzélius et ses adversaires, dépensèrent tant d’efforts. Il nous suffit d’avoir montré la pensée première, l’idée-mère de la théorie des substitutions inaugurée par M. Dumas et qui devait recevoir, en se modifiant par la suite des temps, les développemens les plus féconds. C’était en tout cas une pensée révolutionnaire que de prétendre que les élémens se remplaçaient directement dans les molécules composées sans passer par la hiérarchie des combinaisons binaires. L’édifice de Lavoisier était ainsi ébranlé tout entier, et Berzélius employa les dernières années de sa vie à le défendre avec ardeur.


III

Il nous faut voir maintenant comment la théorie des substitutions s’est élargie et transformée, comment de cette première ébauche