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qu’on en tirât les conséquences qu’elles comportent. Un jour vint cependant où on les rapprocha et où on les féconda l’une par l’autre. Les corps, soit acides, soit basiques, ont en somme des capacités de saturation différentes. C’est cette propriété de saturation élective que les chimistes de la nouvelle école ont mise en relief et qu’ils ont nommée l’atomicité.

Les travaux de M. Berthelot sur la glycérine marquent l’origine de cette phase nouvelle. On savait déjà que la glycérine doit être considérée comme un alcool. Dans un mémoire qu’il publia en 1854 et qui est devenu célèbre, M. Berthelot démontra que ce corps est un alcool triatomique : tandis que l’alcool ordinaire s’unit à une seule molécule d’acide pour former un éther composé, il faut à la glycérine trois molécules d’acide pour former un corps neutre. L’attention des chimistes étant ainsi appelée sur la nature de la glycérine, M. Wurtz ne tarda pas à publier une Théorie des combinaisons glycériques qui faisait faire un nouveau pas à la question. Quelle était la cause de la capacité de saturation propre à la glycérine ? M. Wurtz eut l’ingénieuse idée de la chercher dans un radical hydrocarboné auquel il rapporta la glycérine. Ce radical, non saturé d’hydrogène, avait en quelque sorte des vides qui tendaient à se remplir, et son appétit était en raison du nombre de trous qu’il avait à combler. Il y avait là une idée féconde, et, si l’hypothèse était hardie, elle devait bientôt recevoir une éclatante confirmation. L’alcool ordinaire étant, comme nous l’avons dit, monatomique et la glycérine triatomique, M. Wurtz fut conduit à penser qu’on devait trouver un alcool intermédiaire, un alcool diatomique. Que faire pour réaliser cette conception théorique ? Il fallait partir d’un radical hydrocarboné qui fût diatomique lui-même, et s’en servir pour constituer un alcool. M. Wurtz supposa qu’il trouverait ce point de départ dans le gaz oléfîant ou éthylène. On connaît depuis le siècle dernier une liqueur découverte par une réunion de chimistes de Hollande, d’où lui vient le nom de liqueur des Hollandais ; c’est une combinaison de chlore et de gaz oléfîant. A l’aide de ce corps, M. Wurtz parvint à fabriquer l’alcool diatomique qu’il cherchait et qu’il appela glycol, pour rappeler à la fois l’alcool et la glycérine entre lesquels ce produit venait se placer. Cette découverte, qui date de l’année 1858, eut un grand retentissement. Les alcools marchent par séries ; c’était donc toute une série nouvelle qui venait prendre rang dans la science. C’était même une série que l’on pouvait appeler décisive, en ce sens qu’elle dessinait fort nettement la théorie de la polyatomicité des alcools.

La série des glycols devenait ainsi comme la clé de voûte de la doctrine nouvelle. Dans l’opinion de M. Wurtz, comme nous l’avons