Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amour du travail chez les citoyens, il fallait faire appel aux souvenirs les plus purs de l’ancienne Rome, se présenter comme un dictateur de la république, restaurer le règne des lois, et rester un magistrat républicain : dès lors tout avait sa raison d’être, la sévérité n’avait rien d’inapplicable, la rudesse devenait une nécessité, la parcimonie une force, la simplicité un titre de respect. En se proclamant empereur, Galba éveillait un ordre d’idées opposé, enflammait les appétits et se forgeait de tout autres engagemens. Du moment que l’imprudent vieillard réclamait l’héritage formidable des césars, du moment qu’il se glissait dans cette famille ensanglantée, où tout était gigantesque, la grandeur comme le crime, les goûts comme les vices, l’audace pour le mal comme l’orgueil du bien, du moment qu’il renouait la tradition du césarisme, il fallait être logique et en accepter les devoirs. Le devoir d’un césar, c’était d’énerver le peuple, de l’amuser et de le corrompre pour mieux l’asservir. Le bien-être, la paresse, la débauche, étaient les ressorts du gouvernement impérial ; les distributions de vivres, les loteries, les jeux et les fêtes en étaient les bienfaits ; la terreur pour les honnêtes gens, la curée pour les flatteurs, l’or pour la soldatesque, en étaient l’idéal. Le devoir d’un césar était d’être un acteur toujours en scène, de ne jamais laisser refroidir son public, de le repaître, de le bafouer au besoin, de l’égayer par ses ridicules, de le réjouir par ses monstruosités, de lui donner tout en spectacle, même des attentats et des supplices. Le devoir d’un césar était de sacrifier les provinces à la capitale, les légions aux prétoriens, les classes nobles, laborieuses ou intelligentes à une canaille fainéante, car le césarisme n’est autre chose que la révolution en permanence, le despotisme de la multitude incarné dans un tyran. Méconnaître ce principe était d’un fou ; y manquer, c’était prononcer sa propre déchéance.

Galba ressemblait donc après quelques mois de règne à un exilé dans la solitude du palais. Séquestré par ses trois pédagogues autant que par son âge, étranger à l’empire et à tous ses sujets, sans amis, sans prestige, il avait laissé échapper jusqu’au pouvoir, que des mains avides avaient saisi pour en faire trafic. Il était si vieux qu’on aurait pris patience : sa mort prochaine ouvrait aux espérances l’espace, aux esprits l’inconnu ; mais Galba commit une imprudence suprême. Il crut se fortifier en se choisissant un successeur, et il désigna Piso Frugi Licinianus. Or Pison était un jeune homme ; il appartenait aux familles de Rome les plus honorées, aux Grassus et aux Scribonius ; il était cité pour sa vertu, son mérite, la rigidité de ses mœurs. Les Romains ne purent se faire à cette perspective. Quoi ! après la vieillesse morose de Galba, faudra-t-il