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les estropiés, les bernait dans un manteau. Son père dut plus d’une fois le châtier comme le dernier des esclaves. Incorrigible, il profita de la mort de son père pour s’attacher à une vieille affranchie qui avait de l’influence à la cour. Il feignit de l’amour pour cette intrigante décrépite, qui l’aida à se glisser auprès de Néron. Ce fut un malheur pour ce prince, dont il devint aussitôt le mignon, le corrupteur, le complice de débauches. Plus âgé, il avait plus d’action sur un esprit tendre. De concert avec Sénécion, il effaçait les leçons de Burrhus et de Sénèque, développait les penchans mauvais d’un empereur de dix-sept ans, et le jetait dans tous les excès. Ce rôle valut à Othon un crédit dont il fit le pire usage, des richesses aussitôt dépensées, une infamie dont il tirait vanité. Il trempa dans le meurtre d’Agrippine ; c’était lui qui donnait le souper exquis et cordial destiné à endormir ses soupçons. Après avoir enlevé Poppée à son mari, Rufus Crispinus, il fit de cette femme[1] un monstre de luxe, de sensualité et d’audace ; il s’en servit auprès de Néron comme d’un instrument et d’un appât ; il poussa même ce jeu jusqu’à faire de l’empereur un sujet de risée. Il oubliait que les despotes sont comme les bêtes féroces et finissent par dévorer ceux qui les domptent. Il ne dut la vie qu’à l’intervention de Sénèque ; le philosophe fit craindre à Néron un éclat ridicule. Othon fut exilé en Lusitanie avec le titre de questeur.

Une chute aussi brusque, la peur, l’espoir d’être rappelé, en firent un gouverneur modéré et intègre. Dix ans s’écoulèrent. Othon vit dans la révolte de Galba une occasion de se venger ou plutôt de rompre un exil qui pouvait devenir perpétuel. Il s’attache au vieillard, ne le quitte plus d’un pas, l’accable de ses soins et de son assiduité, marche près de sa litière pendant tout le voyage, contracte de nouvelles dettes pour corrompre ses soldats, saisit tous les prétextes pour leur distribuer l’or à pleines mains ; il prépare son propre avènement, et ne doute pas d’être désigné comme successeur par Galba, qui n’a point d’enfans. L’adoption de Pison fait évanouir ces belles espérances. Aussitôt, avec la tranquillité d’un roué qui n’a jamais eu de scrupules, Othon se résout à faire une révolution. Cette révolution coûtera cher à sa patrie ; mais elle ne lui coûte, à lui, que 200,000 francs : encore les prend-il dans la bourse d’un solliciteur qu’il recommande à Galba. Il semble en effet que ce soient les embarras d’argent bien plus que l’ambition qui poussent Othon à cette extrémité. Il avouait lui-même que « le trône était son seul refuge,

  1. Poppée est représentée seule sur une monnaie de Périnthe, de très petite dimension : sa tête est gracieuse, sans caractère individuel, conforme à l’idéal grec. Elle figure avec Néron sur les monnaies de Smyrne, d’Ancyre, d’Éphèse, de Pessinonte, d’Alexandrie.