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pouvant la prendre par les cheveux puisqu’elle était chauve, lui passa le pouce dans la bouche pour la porter à Othon.

Ainsi finit, comme une courte apparition, ce vieillard médiocre, dont les intentions valaient mieux que l’intelligence, sans vices plutôt que vertueux, mis en évidence par sa richesse, digne de commander tant qu’il n’a pas régné, indolent dès qu’il fut sur le trône, dupe de ses amis, respectant le bien d’autrui, économe du sien, avare du bien de l’état, ce qui est le plus grand éloge qu’on puisse faire d’un empereur. Écrasé par la grandeur d’un rôle qu’il n’avait pas compris, il a disparu aussitôt dans le gouffre creusé par ses prédécesseurs. Son règne éphémère compte à peine dans l’histoire.


II

Un demi-siècle s’est à peine écoulé, et déjà les césars apprennent que la force est un appui précaire, que les armées permanentes se retournent contre ceux qui les paient, que les prétoriens, instrument du despotisme, sont leurs maîtres et disposent de l’empire. Jusqu’à Galba, les empereurs n’étaient montés sur le trône que par la grâce des prétoriens : Tibère, Caligula, Claude, Néron, étaient leurs créatures. Othon renouait la tradition rompue ; il représentait leur vengeance et leur toute-puissance ; il leur était cher comme un principe reconquis. La figure d’Othon, douce, efféminée, séduisante et infâme, rappelle ces images de Vénus que les vieilles religions couvraient d’une armure. Éphémère, effacé, incapable de jouer un rôle, il nous échappe comme une ombre après un règne de quatre-vingt-quinze jours ; mais il est bien l’idole armée que les prétoriens portent avec eux au combat : fiction politique, il est la personnification de la soldatesque déchaînée qui s’est par hasard incarnée en lui et qui sent qu’il faut mourir avec lui.

Othon avait trente-sept ans ; il était né à Férentinum le 28 avril de l’an 32. Sa famille avait tenu jadis dans le pays les premiers rangs ; mais elle était déchue. Marcus Salvius Othon, son aïeul, fils de chevalier, n’était devenu sénateur qu’en faisant à Livie la cour la plus assidue. Lucius Othon, son père, ressemblait à Tibère au point, de faire dire tout bas qu’il lui tenait de près. Tibère cependant ne lui accorda aucune faveur, et il fallut que Lucius dénonçât un conspirateur au pusillanime Claude pour obtenir une statue sur le Vélabre et être inscrit parmi les patriciens. La flatterie et la délation étaient les principaux titres de ces parvenus.

Dès sa jeunesse, Othon fut un prodigue et un libertin. Il courait les rues la nuit avec ses compagnons, se jetait sur les ivrognes et