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son tempérament ni de marquer ses tendances despotiques. Sa puissance était si précaire qu’il la sentait glisser de ses mains avant de l’avoir saisie ; son règne fut si éphémère qu’il n’eut même pas de lune de miel. A peine eut-il pris possession du Palatin que les soucis l’y assiégèrent. Sa première nuit fut troublée par des songes terribles ; l’ombre irritée de Galba le tirait hors de son lit ; à ses cris, on accourut, on le trouva à terre. Le lendemain, comme il offrait un sacrifice, la violence du vent le renversa, et on l’entendit murmurer : « A quoi me sert déjouer de la longue flûte ? » Résignation d’un fataliste qui pressent l’abîme et s’y laisse couler. En effet, il apprend aussitôt la révolte de Vitellius, dont Galba avait caché la nouvelle pour ne point attrister l’adoption de Pison. Déjà Valens et Cécina, lieutenans de Vitellius, sont en marche à la tête des légions du Rhin. Il faut s’armer, faire des levées, préparer la guerre civile, pousser sur le champ de bataille une nation à qui l’on n’inspirait la veille que de l’indifférence et du mépris ; il faut charger d’un casque cette tête qui n’a supporté d’autre poids que celui d’une perruque, façonner aux fatigues ce corps que l’habitude précoce de la débauche a énervé.

C’est alors que les prétoriens auraient dû comprendre combien leur choix était ridicule et rougir d’un chef qui n’était même pas capable de les mener au combat ; mais qui peut expliquer l’aveuglement de la foule ? Plus l’objet de sa passion s’en montre indigne, plus cette passion redouble. Les soldats se serrent avec plus de tendresse autour de la faible créature qui est leur œuvre et qui a besoin d’eux. L’orgueil de ne point avouer qu’on s’est trompé se mêle à je ne sais quelle pitié maternelle. Les prétoriens ne voulaient point céder aux légions, ils étaient enivrés, ils se croyaient les maîtres du monde, ils voulaient le prouver, ils n’avaient besoin ni d’être commandés ni d’être nombreux, puisqu’ils étaient invincibles. Jamais ils ne se seraient serrés avec autant d’ardeur autour d’un héros. Ils veillent sur Othon comme sur un trésor : leur sollicitude est toujours prête à se tourner en fureur. Un soir, par exemple, les soldats de la flotte, qui ne voulaient plus quitter Rome, avaient reçu de l’empereur l’ordre de charger des armes sur des chariots. Ce mouvement à une heure aussi avancée de la nuit jette l’alarme, on croit à un complot, le camp est en émoi, on se précipite, on tue les tribuns et les centurions qui veulent calmer les esprits, on court au palais. Othon donnait un souper qui s’était prolongé outre mesure ; quatre-vingts sénateurs, leurs femmes, d’autres personnages non moins odieux à la soldatesque, sont obligés de prendre la fuite, ils s’esquivent sous les déguisemens les plus vils. Quand les portes sont forcées, Othon, en costume de débauche, la ceinture dénouée, trébuchant dans ses longs vêtemens,