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populaire de l’empire, parce que L’armée savait qu’elle pouvait tout se permettre avec lui. Ce n’était pas un maître, c’était un complaisant, un camarade, un flatteur. Heureux de vivre enfin à l’aise et de faire grasse chère, il ne voulait voir autour de lui que des visages heureux. C’était son unique, politique. Aussi réussit-il le plus naturellement du monde. Sans talent, sans courage, sans conscience, il gagna les cœurs par sa facilité plus vite qu’un grand capitaine ne les eût gagnés par ses exploits.

Un mois, après, une révolte qui couvait, depuis quelque temps éclate à son insu. Les légions étaient courroucées contre Galba ; elles n’avaient reçu ni la récompense que méritait leur campagne contre Vindex, ni le don que les césars ne manquaient jamais de promettre à leur avènement. Elles avaient envoyé un message aux prétoriens pour les inviter à renverser Galba. Pleines d’impatience et ignorant l’usurpation d’Othon, elles voulaient agir. Au milieu de la nuit, à un signal convenu, on s’arme en tumulte, on entoure la tente où Vitelluis dormait profondément, on arrache de son lit le général à demi vêtu, on ne se laisse point émouvoir par sa risible frayeur, on le hisse sur les épaules les plus robustes, on le proclame empereur et on le promène à la lueur des torches dans les villages voisins. Était-ce une conspiration à laquelle les officiers n’étaient point étrangers ? Était-ce l’explosion spontanée des ressentimens d’une multitude mercenaire ? Dans les deux cas, Vitellius était bien, l’instrument aveugle que cherchaient les rebelles. Son incapacité, rassurait les chefs, sa faiblesse les soldats. Les uns et les autres savaient qu’ils poussaient devant eux un mannequin militaire qui servirait de couverture à leurs passions. Aussitôt tous furent d’accord, l’armée de la Haute-Germanie et celle de la Basse-Germanie, Valens et Cécina, jaloux l’un de l’autre et trop obscurs pour prétendre eux-mêmes-au pouvoir. « En marche ! en marche vers Rome ! sus aux prétoriens ! c’est notre tour ! à nous l’Italie, le pillage, le repos, les plaisirs ! » On ne consulte point Vitellius, on se prépare malgré lui ; on n’est point arrêté, par la mort de Galba ; on est excité encore par l’audace d’Othon. Vitellius hésite, il temporise, il a peur ; on le laisse en arrière avec les bagages, à la merci des goujats d’armée et des barbares, et l’on se met en route sans lui.

Valens, avec 40,000 hommes, traverse, la Gaule, rançonne les villes et franchit les Alpes Cottiennes. Cécina, avec 30,000 hommes, met à feu et à sang l’Helvétie et tombe sur l’Italie par les Alpes Pennines. La bataille de Bédriac et la mort d’Othon ouvrent cette ère de pillage tranquille qu’ont rêvée les deux armées du Rhin. Les municipes et les campagnes sont dévastés lentement, par étapes ; les nuées de sauterelles venues d’Afrique ne feraient pas une plus large