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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/377

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encore temps pour elles de se faire croire, parce que l’Europe pouvait encore penser que derrière elles il y avait des soldats. A la fin de décembre, le temps des paroles était passé. La diplomatie impériale n’avait pas su accepter le 16 novembre la paix et les frontières rhénanes qu’on lui offrait encore, et le 2 décembre, quand elle les avait demandées, elle ne les avait plus retrouvées. M. Thiers explique admirablement ces désastreuses pertes de temps de l’empereur, qui ne pouvait pas se résoudre à abjurer son gouvernement personnel ni devant l’Europe, ni devant la France. En lisant ces pages pleines d’émotion de l’historien, qui est surtout l’historien national dans les derniers momens du premier empire, on croit entendre un écho du discours de M. Thiers en 1866 sur les affaires d’Allemagne avant Sadowa.

Au commencement de novembre 1813, l’idée de la possibilité d’une révolution contre l’empire ne s’était pas encore fait jour dans les états-majors des armées ennemies ; à la fin de décembre 1813, cette idée s’y était accréditée ; on croyait que c’était là qu’était le dénoûment de la guerre, et que c’était à Paris qu’il fallait venir l’y chercher. On crut bien plus encore que la séparation entre la France et Napoléon était possible par une révolution, quand on vit que Napoléon lui-même faisait cette séparation en ajournant le corps législatif.

Curieuse observation à faire sur la destinée des idées et des paroles politiques en ce monde ! il y en a qui naissent avec le don de l’à-propos, d’autres qui, par je ne sais quelle fatalité, sont vouées au retard : l’idée de M. Raynouard en 1813 ne fut qu’un projet qui n’eut ni publicité ni commencement d’exécution. En 1815, après Waterloo, elle devint le plan de conduite et le système du corps législatif et de la commission chargée par lui de négocier la paix avec l’Europe ; c’était la pensée et l’espérance favorite de M. de Lafayette : il voulait écarter l’empereur et montrer seulement la France à l’Europe. Il était trop tard encore, c’était avant Waterloo, et non après, qu’il eût fallu faire cette substitution pacificatrice. En se séparant de Napoléon en 1815, avant Waterloo, la révolution pouvait conduire les événemens ; après Waterloo, elle les suivait sans les prendre dans leur sens. La restauration a pu rentrer aux Tuileries en 1815, parce qu’elle avait été l’adversaire de Napoléon. La révolution n’a pas pu relever la France de la défaite de Napoléon, parce qu’elle avait commencé par s’allier à lui, espérant peut-être le détruire ; mais, pour le détruire et en hériter, il aurait fallu le combattre vainqueur et non pas vaincu. N’ayant montré de force que contre le vaincu de Waterloo, la révolution s’est trouvée impuissante. Elle avait été, malgré sa défection du lendemain, vaincue avec lui à Waterloo, Sa faute et sa faiblesse ont été de vouloir