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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/387

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III

J’arrive à la troisième crise du gouvernement personnel, c’est-à-dire à 1848, et ici je rencontre la mémoire d’un prince que j’ai toujours aimé et respecté, le roi Louis-Philippe. Est-ce l’infatuation du gouvernement personnel qui a causé la chute du roi Louis-Philippe, comme elle a causé la chute de Napoléon Ier et de Charles X, ou bien faut-il plaindre ce prince comme une victime des préjugés populaires ? Je dirai très franchement ce que je pense à ce sujet ; mais je veux et je dois d’abord faire une réflexion. Il n’est pas difficile de reconnaître dans Napoléon Ier et dans Charles X les caractères du gouvernement personnel, quelle que soit la différence des deux princes. Ils ont tous deux la conviction qu’ils peuvent légitimement agir en dictateurs, l’un en vertu de son génie, en vertu

Du droit qu’un esprit vaste et ferme en ses desseins
A sur l’esprit grossier des vulgaires humains,


l’autre en vertu des droits héréditaires de sa race. Leurs actions sont conformes à leurs pensées. Je ne parle pas pour Napoléon Ier de l’usurpation primitive du 18 brumaire. La France en avait pris son parti, avec cette condition pourtant que le pouvoir serait exercé avec la sagesse du consulat, c’est-à-dire, au dehors, dans l’esprit des traités de Lunéville et d’Amiens, en procurant par la victime la prépondérance pacifique de la Fiance, au dedans par une autorité intelligente et modérée qui permettrait à Mme de Staël, à M. de Chateaubriand, à M. Benjamin Constant, d’ouvrir, par la liberté et l’élévation de la pensée, l’ère philosophique et littéraire du XIXe siècle, sinon l’ère politique. On sait comment l’empire observa ces conditions tacites, et comment en 1813, quand la France demanda à être un peu plus libre au dedans, afin de pouvoir être plus forte au dehors, l’empereur congédia avec colère le corps législatif comme s’occupant de choses qui ne le regardaient pas. Ce sont là des actes de gouvernement personnel, des actes dictatoriaux qui sont éclatans, manifestes, et que le malheur public a gravés en traits ineffaçables dans la mémoire des hommes.

L’infatuation du gouvernement personnel n’a pas été moins grande dans le roi Charles X, et n’a pas éclaté par des actes dictatoriaux moins manifestes, moins douloureusement historiques, et surtout, comme le dit avec raison M. Guizot, par des actes dictatoriaux moins provoqués et plus gratuits. Si l’empereur Napoléon Ier eût abjuré en 1813 le gouvernement personnel, il sauvait peut-être la France de l’invasion et sa dynastie de la déchéance ; mais il abjurait en quelque sorte toute sa vie. Le roi Charles X au contraire