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n’avait pas été élevé et n’avait pas vécu en dictateur. Le gouvernement personnel n’était pour lui qu’une théorie, héréditaire, il est vrai, de telle sorte qu’il eût cru abjurer sa famille s’il eût cédé à ce qu’il appelait la révolution. La restauration, dès 1814, avait par la charte abjuré solennellement la théorie du gouvernement personnel héréditaire, et Charles X lui-même, le 14 avril 1814, acceptant les articles fondamentaux de la constitution du sénat, disait à M. de Vitrolles après la séance : « Eh bien ! voilà les engagemens-pris ; il faut les accepter franchement et les accomplir dans toutes leurs conséquences et sans arrière-pensée ; ensuite l’expérience nous apprendra si c’est ainsi qu’on peut assurer le bien du pays[1]. » Malgré la réserve exprimée par les dernières paroles et qui contient la pensée éventuelle des ordonnances dictatoriales du 25 juillet 1830, il n’y a rien là d’un dictateur. Ce sont donc les docteurs du parti royaliste, c’est la fatale controverse des journaux légitimistes de 1829, qui rappelèrent à Charles X la théorie qu’il avait un instant oubliée. Il s’en ressaisit comme d’un dogme de famille, et il se perdit en mettant ce dogme en action, sans à-propos, sans nécessité, conseillé par des ministres que M. le duc de Fitz-James, en prêtant serment à la royauté de 1830, traitait de « ministres imbéciles encore plus que perfides-[2]. » Par les ordonnances de juillet, Charles X prenait la dictature au nom de la contre-révolution. C’est donc bien sur un acte de dictature qu’il est tombé.

Je reviens maintenant à la chute du roi Louis-Philippe en 1848. Sur quoi est-il tombé ? Est-ce sur un acte de dictature ? est-ce pas infatuation du gouvernement personnel ? est-ce par obstination à le garder ou par ambition de le prendre ? Le garder ! il ne savait pas. L’empereur Napoléon Ier l’avait et se refusait à le modérer, malgré le conseil des événemens et les instances patriotiques du corps législatif. Prendre le gouvernement personnel ! le roi. Louis-Philippe a-t-il fait pour cela des ordonnances de juillet, comme le roi Charles X ? Non. A-t-il voulu conserver ses ministres malgré la majorité de la chambre des députés, comme faisait le roi. Charles X pour M. de Polignac ? Non. Il n’y a donc eu de la part du roi Louis-Philippe aucun acte de dictature, aucun acte contraire à la charte de 1830. On peut le soupçonner d’avoir eu du goût pour le gouvernement personnel, on peut lui faire un procès de tendance ; on peut croire qu’avec l’esprit et l’expérience qu’il avait, il se sentait fait pour quelque chose de mieux que pour régner sans agir, comme un saint qu’on vénère dans sa niche. Il savait quelle était sa responsabilité réelle en dépit du son inviolabilité légale, et eût-il voulu

  1. Histoire du Gouvernement parlementaire, par M. Duvergier de Hauranne, t. II, p. 116.
  2. Séance de la chambre des pairs, 10 août 1830.