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peines de cœur au sujet d’une Béatrice ou d’une Laure, il n’est pas étonnant que le Habsbourg de seize ans ait cru devoir écrire « à tous les princes de la chrétienté » pour se plaindre du « rapt » de sa fiancée et pour demander justice contre Jagello. Il est naturel aussi que celui qui de tous les chrétiens se montra le plus compatissant pour ces souffrances d’amoureux fût un moine, — le grand-maître de l’ordre teutonique ! Le jeune Guillaume, devint pour un moment l’Augustenbourg de la Prusse du XIVe siècle, « le prince héréditaire, le champion de l’honneur et du droit germaniques. » Zollner de Rotenstein conclut une alliance avec plusieurs princes allemands, — des princes poméraniens, — et déclara la guerre à Jagello « pour avoir ravi à l’illustrissime seigneur et duc Guillaume d’Autriche sa femme légitime et ses états héréditaires ! » Il ne reconnaissait pas « le soi-disant roi de Pologne, » il ne prenait pas au sérieux son « baptême de Cracovie, » et l’appelait dans un document public du gracieux nom de « chien enragé. » Le grand-maître n’avait pas négligé non plus d’encourager à la révolte un parent de Jagello, André de Poloçk, et de gagner à la « cause commune » les princes russes de Smolensk, « les fils de Rourik. » À cette ligue en apparence formidable de la maison d’Autriche, de l’ordre teutonique, des princes allemands et des princes russes, le roi Ladislas ne put opposer qu’un traité offensif et défensif avec la Hongrie ; mais l’orage ne tarda point à se dissiper, grâce surtout à une victoire lointaine remportée par les glorieux enfans de Tell. Coïncidence remarquable, vers la même époque où, du côté des Carpathes, le génie de Jagello travaillait à élever une digue contre les débordemens de la Germanie par une confédération des Polonais, des Lithuaniens et des Hongrois, un pauvre peuple de pasteurs poursuivait un but semblable dans les vallées des Alpes, et jetait dans la grande journée de Sempach (9 juillet 1386) les fondemens indestructibles de la confédération suisse. Dans cette bataille de Sempach, on s’en souvient, périt, avec la fleur de la chevalerie allemande, le chef de la maison d’Autriche, l’archiduc Léopold, le père du jeune fiancé d’Haimbourg. La nouvelle de ce désastre jeta le désarroi parmi les ennemis ligués contre Jagello ; les princes poméraniens montrèrent dès lors peu de zèle, et il n’est pas jusqu’à Zollner de Rotenstein lui-même qui ne crût devoir prétexter de la mauvaise saison pour ne point avancer. Seuls les chevaliers teutoniques de Livonie et les princes russes de Smolensk s’étaient mis en marche dès le printemps, et avaient pénétré fort avant dans le pays. « Les fils de Rourik » commirent des cruautés horribles, « telles, dit une chronique, russe, que ni Antioche le Syrien, ni Julien l’Apostat n’en avaient jamais exercé contre des chrétiens ; »