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chambre. Quand le roi Louis-Philippe parlait ainsi, il citait volontiers le vers de Voltaire ; il rappelait le dialogue d’Omar et de Mahomet :

J’ai devancé ton ordre.
— Il eût fallu l’attendre.


Le roi ne voulait pas devancer le vote de la majorité ; il l’attendait.

Les majorités font trop bon marché de leurs prérogatives, de leurs droits, de leurs devoirs, quand elles s’enchaînent à tel ou tel ministre, quand elles abdiquent leur volonté entre ses mains. Elles se croient innocentes, parce qu’elles sont obéissantes ; c’est leur obéissance qui fait leur faute. Elles sont chargées par le pays de surveiller la marche de l’administration, de l’observer, de voir si elle suit la bonne voie ou si elle entre dans la mauvaise. Le jour où l’administration fait fausse route, où elle se détache des intérêts, des pensées, des sentimens du pays, le jour où l’administration devient une coterie de cour ou de bureau au lieu d’être un vrai gouvernement, ce jour-là les majorités doivent se détacher des ministres. Il est honorable et utile de se détacher des ministres avant leur chute ; s’en détacher après est le fait des petits esprits et de cœurs encore plus petits. Vous avez obéi aux événemens, il fallait les diriger ; vous avez suivi la destinée, il fallait la faire.

Je sais bien quelle est la réponse des majorités, de celle de 1868 comme de celle de 1847 : c’est aux ministres, qui voient les choses de plus haut et de plus loin, qu’il appartient de sauver l’état, même par leur démission, si le salut de l’état la demande. — Vous en parlez bien à votre aise, dirai-je aux majorités. Vous voulez que Curtius voie le gouffre que vous ne voyez pas vous-même et qu’il s’y jette vaillamment. Vous demandez aux ministres une clairvoyance trop difficile, une clairvoyance contraire à leur intérêt, à leur situation, à l’amour naturel du pouvoir, contraire aux intérêts et aux conseils de leurs amis. Je vais plus loin : les majorités, toutes les majorités, sous quelque ministère et sous quelque règne que ce soit, voient le péril bien mieux que ne le voient les ministres. Ce n’est pas la clairvoyance qui manque aux majorités, c’est l’indépendance, c’est la fermeté d’esprit et de cœur. Elles ont toute la sagacité qu’il faut pour prévenir le mal ; elles n’ont pas le courage qu’il faut pour l’empêcher. J’en citerai deux exemples, l’un dans le présent, l’autre dans le passé, l’un dans la majorité de M. Rouher, l’autre dans la majorité de M. Guizot.

Personne assurément, dans la majorité de la chambre de 1863, ne voulait l’expédition du Mexique, et j’hésite à croire que M. Rouher la voulût lui-même ; mais c’est là une autre question que je n’ai pas