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Nous devons signaler aussi une cause de décadence qui était grave du temps de l’ancienne organisation, et qui reste sensible dans la nouvelle : la plupart des élèves manquent encore d’études générales. Il en est qui se vantent de leur ignorance et la prennent volontiers pour de l’indépendance. La confusion est regrettable. Les Grecs, auxquels il faut toujours revenir en pareille matière, ne la faisaient pas. Nous savons que Pamphile, le maître d’Apelles, exigeait de ses disciples dix ans d’assiduité à son atelier et des connaissances approfondies sur l’histoire, les lettres, les sciences. Que des élèves aient cette idée fausse sur l’utilité du savoir, on le comprendrait en le regrettant ; mais quelques-uns de ceux que le public tient pour des maîtres n’en sont pas exempts eux-mêmes. Ce dédain n’est pas égal dans toutes les branches de l’art. Les architectes sont ordinairement fort portés à s’instruire. Ces nuances trouvent leur raison d’être dans l’ensemble des connaissances très variées que réclame l’architecture. Beaucoup de sculpteurs sont persuadés que la statuaire ne réclame guère que la science des formes superficielles, l’étude des antiques, l’éducation de la main. Ceux des artistes contemporains qui ne se sont pas contentés de ce mince bagage et n’ont pas cru voir dans de plus amples acquisitions un danger pour leur originalité n’ont point à s’en repentir. Leurs travaux sont marqués d’une empreinte qui les ferait aisément reconnaître. Les peintres, sans être, tant s’en faut, des savans, ont plus appris. Il est cependant plus aisé de s’improviser peintre que statuaire, la couleur réserve à ses élus des privilèges particuliers ; mais la peinture a des exigences qu’il est impossible d’éluder aujourd’hui. L’exactitude des costumes, celle de certains types consacrés par l’usage, des lieux où se passent les scènes représentées, la nécessité de varier les attitudes, les caractères des personnages, veulent des recherches persévérantes auxquelles l’observation journalière ne suppléerait pas. De plus le peintre a d’ordinaire une faculté d’attention que l’exercice de sa profession ne fait qu’exalter. L’ensemble d’études qui lui suffit dans la plupart des cas est bien loin cependant de la somme des connaissances précises que l’architecte, pour être un artiste complet, ne saurait se dispenser d’acquérir. Il faut que celui-ci serre la science de près et s’en rende maître. Il faut en outre qu’il possède la notion de tout ce qui a été fait avant lui, qu’il compare, qu’il voyage, qu’il ait dans une certaine mesure, comme le pieux Énée ou le sage Ulysse, vu les mœurs et les villes des hommes. La seule pénétration ne suffit pas pour comprendre ou deviner ce qu’il doit savoir.

Dans tous les arts, une solide instruction est comme le fonds qui porte les œuvres durables. Pourquoi Eugène Delacroix a-t-il pu si puissamment exprimer les choses humaines, et parcourir avec les