présenter la pétition, ne la défendit que par de vagues généralités. M. Garnier-Pagès l’aîné y trouva le thème d’un discours spirituel. La chambre, peu préparée à une pareille discussion, la trancha par l’ordre du jour. Vers le même temps commençait à Lyon la campagne des banquets réformistes, à laquelle M. de Cormenin ne fut pas étranger.
Il y avait aussi, semés à travers le pays comme à toutes les époques, des conciliabules formés spontanément par l’attraction des idées communes. Ces groupes, dont le journal du lieu est ordinairement le centre, deviennent des foyers où les doctrines passent au creuset, où chacun, dans le décousu d’une causerie amicale, prépare sans y songer la politique de l’avenir. Un de ces groupes existait à Angers autour d’un journal dont le principal rédacteur était un homme de grand sens et du caractère le plus estimé, M. Peauger. Il avait pour amis et collaborateurs des jeunes gens studieux, exaltés par l’incessante discussion, et qui tous d’ailleurs ont trouvé dans la société les positions dues à leur mérite. L’un, avocat distingué, est devenu ministre, l’autre, apprécié comme ingénieur, a été représentant ; celui dont je tiens ces détails a pris rang d’une manière éminente dans la controverse politique et dans le monde financier.
Entre ces jeunes tribuns, l’interminable causerie commencée au bureau de rédaction se continuait dans la promenade du soir pour être reprise le lendemain. Ils étaient à cet âge où l’imagination s’éprend de l’absolu, où la rigidité des principes n’a pas encore été assouplie par l’expérience. En matière d’élection, dont on parlait souvent, ils tenaient tous pour le suffrage universel direct, illimité ; Peauger seul faisait exception. Son argument principal était celui-ci : « le suffrage universel ne peut nommer que ceux qu’il connaît ; quand on en viendra quelque jour à élire le chef de l’état, le candidat le plus connu sera l’héritier de Napoléon. » La conversation roula bien longtemps dans le même cercle. Les jeunes théoriciens de la future république restaient inébranlables sur le terrain du droit absolu. — « Eh bien ! s’écrie un jour Peauger de guerre lasse, j’adopte avec vous le suffrage universel, mais je vous préviens que je vais aller à Ham ! » Il y alla en effet. Franchement républicain, Peauger était naïvement persuadé qu’il allait s’incliner devant un futur président de la république. Ce qui fut dit, on l’ignore ; il est seulement de notoriété publique que le neveu de Napoléon a conservé pour le rédacteur du Précurseur d’Angers des sentimens exceptionnels d’estime et d’amitié.
Le dénoûment mérite d’être connu. En 1848, Peauger, dont la droiture était appréciée du gouvernement républicain, fut envoyé