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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/442

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les conditions d’un duel, M. de Cormenin put dire dans un dernier pamphlet intitulé l’État de la question : « La France veut le gouvernement du pays par le pays. La cour veut le gouvernement personnel du roi. Au bout de l’un se trouvent l’ordre et la liberté, au bout de l’autre se trouve une révolution. Voilà l’état de la question. » Le pamphlétaire était prophète.


II

Le 24 février 1848, le trône vient d’être abattu. Un appel au peuple sur les plus larges bases, aussi prochain que possible, est une nécessité de salut public, tout le monde sent cela ; mais le gouvernement improvisé est débordé par la marée montante des affaires. Le temps lui manque pour élaborer un système électoral. M. de Cormenin paraît à l’Hôtel de Ville et offre ses services : on lui adjoint un vétéran du libéralisme, le jurisconsulte Isambert. Six jours plus tard, le 2 mars, les membres du gouvernement provisoire tiennent séance au ministère des affaires étrangères sous la présidence de Lamartine. On y a mandé Cormenin, qui donne lecture de son projet. Sur les tendances générales, sur la nécessité absolue d’étendre aussi loin que la raison le comporte les limites du droit du suffrage, les divergences n’étaient pas possibles. Une discussion très rapide est résumée en ces termes : « le gouvernement provisoire arrête en principe et à l’unanimité que le suffrage sera universel et direct, sans la moindre condition de cens. » Restait à régler l’application : la discussion des articles fut ajournée au surlendemain.

La délibération, reprise en effet le 4 mars, fut consacrée aux moyens d’exécution. Les onze membres du gouvernement provisoire et les quatre ministres qu’ils s’étaient adjoints, en tout quinze citoyens confondus dans la foule huit jours plus tôt, sans autre mandat que l’impossibilité de faire autrement, sans autre illumination que les éclairs de la tempête, allaient frapper le coup d’état le plus souverain et introduire dans l’ordre des sociétés la plus mystérieuse innovation de la politique moderne. La préoccupation générale au sein de ce conseil était de soustraire les classes peu éclairées et dépendantes aux divers genres de pression qu’il est trop facile d’opérer sur elles. Pour la formation des collèges, la première idée fut de diviser la France en carrés égaux comme ceux d’un damier, sans tenir compte des divisions départementales. Chaque carré aurait eu un nombre d’électeurs variable comme les mouvemens de la population : on voyait en cela un moyen de briser les anciens cadres administratifs et de dérouter les influences locales. Un savant de l’Observatoire que l’on consulta fît abandonner ce