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Les abstentionistes, les indifférens et les peureux faisaient le vide et le froid dans le monde politique. On voyait s’éteindre peu à peu les foyers de passions et d’idées comme les derniers feux d’un camp dispersé.

Telle était la situation entre la paix de Crimée et la guerre d’Italie, et cependant le réveil était proche : il était même inévitable par un effet bien inattendu des institutions impériales. La contradiction n’y avait pas été prévue. Dès qu’elle s’y était introduite, la nature même de ces institutions faisait des cinq des espèces de tribuns du peuple, ayant seuls entre tous le droit et la possibilité d’exprimer les sentimens, de résumer les idées qui n’avaient pas les moyens de se produire ailleurs. N’ayant pas l’espoir d’agir pratiquement sur les tendances de l’assemblée, ils s’élevaient jusqu’aux principes ; ils élargissaient les débats pour y trouver prétexte de réclamer les droits supprimés, de signaler les abus de pouvoir. La vigilance de leur patriotisme, l’énergie de leurs protestations, l’éclat de trois grands talens oratoires dont les aptitudes se combinaient à merveille, faisaient contraste avec le mutisme obligé et l’inaltérable satisfaction des autres.

Le pouvoir comprit l’importance que les cinq allaient prendre, et ne voulut pas leur laisser le monopole de la popularité. Il élargit la carrière législative, espérant que la majorité dynastique y ferait à son tour preuve de vitalité et de talent. Le décret impérial du 24 novembre 1860 octroya au sénat et au corps législatif le droit de discuter et de voter chaque année une adresse en réponse au discours du trône. Le corps législatif fut également autorisé à éclairer le choix de ses commissions par une discussion préalable, en comité secret, des projets de lois qui lui seraient soumis. Il fut admis enfin que des ministres sans portefeuille désignés par l’empereur seraient adjoints aux membres du conseil d’état pour la défense des lois présentées, que les comptes-rendus des séances, beaucoup plus étendus, seraient adressés chaque soir aux journaux, et que la sténographie exacte et complète des débats serait insérée le lendemain dans le journal officiel.

En annonçant à l’assemblée que l’empereur venait de « rendre au pays une partie des droits dont celui-ci avait fait le salutaire abandon, » c’est ainsi que s’exprima M. de Morny, le président ajouta : « Je ne puis résister au désir de répéter dans cette enceinte les paroles que l’empereur nous a fait entendre au conseil : « Ce qui nuit à mon gouvernement, nous a-t-il dit, c’est l’absence de publicité et de contrôle. » Le nouveau règlement de la chambre donna en effet un grand mouvement à l’esprit public. Des talens inconnus se révélèrent dans les nuances diverses de l’opinion et parmi les