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est écarté de la carrière où sa spirituelle franchise était redoutée, où son zèle infatigable rendait tant de services. Une autorité en matière de finances, M. Casimir Perier, avait obtenu 16,000 voix aux précédentes élections ; on ruine ses espérances en détachant de son cercle sept cantons, y compris celui de Vizille, qui est le berceau de sa famille. A une réélection qui avait eu lieu en 1866 dans l’Orne, il n’avait manqué à M. d’Audiffret-Pasquier qu’un millier de suffrages, les chances paraissaient être pour lui. Bien que le nombre des inscriptions en 1867 ne justifiât pas l’augmentation du nombre des députés (il n’y avait que 122,095 inscriptions, et il en eût fallu à la rigueur 122,500), on se hâte de tracer dans l’Orne une circonscription de plus : quatre cantons bien disposés pour M. d’Audiffret-Pasquier sont détachés, et son concurrent, M. de Mackau, triomphe.

Ai-je trop multiplié ces exemples ? Je ne le crois pas. Rien ne montre mieux le sans-gêne avec lequel on interroge chez nous le peuple souverain. Un procédé souvent usité, celui qui consiste à noyer le vote des villes dans les bulletins de la campagne, est devenu une cause de désordres. Des chefs-lieux de première ou de seconde classe, qui ont à tous égards le droit de se faire représenter par des mandataires de leur choix, avaient le malheur d’être mal notés : on les a divisés en deux ou trois sections, et chacun de ces groupes a été englobé comme appoint dans une circonscription rurale. Dans plusieurs de ces villes, il est arrivé que la foule, à l’heure où les suffrages sont comptés, recueillait avidement toutes les indications, additionnait les résultats partiels et donnait cours à sa joie aussitôt que la majorité lui semblait acquise au candidat préféré. Au dernier moment, on annonçait qu’un message venu d’une campagne lointaine avait changé le résultat prévu. On se croyait dupe d’une mystification ; l’étincelle de la colère courait dans les groupes, et la manifestation, commencée joyeusement, prenait un caractère d’émeute. A qui la faute ?

Le vice principal du système des candidatures officielles, c’est d’autoriser le gouvernement à peser sur ses agens, à jeter le trouble dans leurs consciences. Pour celui qui vit du budget, à quelque degré de la hiérarchie qu’il soit placé, l’élection est une épreuve morale des plus dures. L’attitude de ses supérieurs, les circulaires de son administration, l’avertissent que son avenir est en jeu. Beaucoup d’employés n’ont à lutter que contre eux-mêmes, et ne sont responsables que de leur propre vote, quand ils ne peuvent pas le dissimuler ; mais il y a des catégories d’agens auxquels un rôle actif et public est réservé dans la bataille électorale. Pour ceux-là, le succès de la candidature officielle sera la mesure de l’habileté et la condition de l’avancement, c’est