Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose convenue ; ils savent aussi qu’ils seront mal vus, si le candidat indépendant réussit, et qu’il en résultera un temps d’arrêt dans leur propre carrière. Qu’on imagine l’effet d’une pareille conviction circulant dans tout le pays à travers des légions d’employés, souvent besoigneux, ayant la légitime ambition d’avancer, et quelle fermentation malsaine il doit se produire dans certains esprits qui ne sont pas arrêtés par les scrupules ! Ainsi sont provoqués tant de faits déplorables qui ne servent pas beaucoup le pouvoir quand ils restent inconnus, et qui lui deviennent très nuisibles quand ils arrivent au grand jour.

La centralisation française met au service du gouvernement un prodigieux agencement de ressorts au moyen desquels on peut graduer la pression depuis l’impulsion douce jusqu’à l’écrasement. En temps d’élection, ce mécanisme est sans pareil dans le monde. Il y a d’abord 89 préfets, présens partout au moyen de 300 sous-préfets qu’ils ont pour coadjuteurs. Ils ont le tour de main pour transformer en agens électoraux tous ceux qui détiennent, à quelque titre que ce soit, une parcelle de la force publique, et ce n’est pas peu dire. Chaque espèce de fonctionnaire a une nuance particulière d’autorité et des moyens spéciaux de crédit ; c’est d’abord le juge de paix de canton, et il y a 2,941 juges de paix ; pour pénétrer dans les familles, il y a ensuite 32,000 curés ou desservans ; 46,000 instituteurs primaires, les uns laïques, les autres congréganistes, se surveillant d’un œil jaloux, luttent de zèle pour complaire à l’autorité. Pendant que ces influences font leur œuvre discrètement, l’action municipale s’exerce au grand jour. Il y a bien peu de communes qui ne soient énergiquement travaillées par le maire, par un ou deux adjoints, par le garde champêtre. A travers tout cela circulent, avec la même consigne, avec la même ardeur de se faire remarquer, une multitude d’agens spéciaux, gendarmes, douaniers, percepteurs d’impôts, facteurs de la poste, voyers et cantonniers, orphéonistes, directeurs des sociétés de secours mutuels, distributeurs de bienfaisance, pensionnés et médaillés militaires, tous rattachés par quelques fils au réseau du budget. Est-ce tout ? Non. Après les fonctionnaires viennent les quasi-fonctionnaires, c’est-à-dire ceux qui ont incessamment besoin du bon vouloir de l’autorité, particulièrement 500,000 aubergistes, cafetiers, cabaretiers ou débitans de tabac.

La force motrice qui met en jeu tout ce mécanisme, c’est la préfecture. Dès que la machine départementale a été chauffée sur un ordre venu de Paris, les ressorts entrent en jeu, les rouages s’engrènent, et toutes les pièces du système se mettent à pivoter comme les bobines d’une manufacture. Les circulaires officielles