Nous savons maintenant dans quelles conditions s’engagent les épreuves du suffrage universel, et quels obstacles rencontrent les candidatures combattues par l’administration. Nous sommes en mesure d’apprécier la valeur politique des élections de 1869.
D’après le décret du 28 décembre 1867, le nombre des électeurs inscrits à cette date étant de 10,168,477, le nombre des députés à élire a été fixé à 292. Dix-huit mois plus tard, à la veille des élections, le chiffre des inscrits s’était élevé à 10,315,523. On a compté 8,098,565 votans : c’est une proportion qui dépasse 78 pour 100. Ce premier résultat est déjà digne de remarque. Le zèle pour l’exercice du droit civique a dépassé ce qu’on avait vu depuis l’établissement de l’empire. En 1852, il y a eu 37 abstentions pour 100 inscrits ; en 1857, les abstentions sont réduites à 35 pour 100 ; en 1863, la proportion tombe à 28 pour 100 ; enfin aux élections dernières il n’y a plus que 22 électeurs sur 100 qui ne prennent point part au scrutin. S’il était possible de faire le compte des absens, des malades, des infirmes, de tous ceux qui ont été empêchés accidentellement, on constaterait que les abstentionistes par système ou par indifférence sont aujourd’hui à l’état d’exception.
En 1863, l’opposition possédait peu d’hommes assez dévoués pour soutenir une lutte sans espoir : elle fut forcée d’abandonner 64 circonscriptions aux candidats du gouvernement sans même essayer de combattre. Cette année, les prétendans de toutes nuances ont été nombreux et pleins d’illusions ; on en a compté environ 600 nouveaux, lesquels, joints aux députés qui demandaient le renouvellement de leur mandat, portèrent le nombre des compétiteurs à plus de 800. Si une vingtaine de députés ont encore été élus sans rencontrer d’adversaires, cela tient sans doute à des causes personnelles, puisqu’ils n’appartiennent pas tous à la majorité.
Au point de vue des opinions dont ils émanent, le classement des suffrages est assez arbitraire, il en faut convenir. La division la plus naturelle est indiquée par le système qui nous régit. L’empire étant en définitive un pouvoir d’essence dictatoriale qui puise sa force et son prestige dans la confirmation incessante qu’il demande au suffrage universel, il faut classer comme voix gouvernementales toutes celles qui sont données aux hommes recommandés et soutenus par les préfectures et comme voix d’opposition celles qui, réservant leur indépendance, font par cela même échec au principe du gouvernement personnel. Sur ces larges bases, nous trouvons, en nombre rond, et défalcation faite des voix perdues, pour le gouvernement 4,500,000 suffrages, pour l’opposition 3,500,000. Comparativement au total des suffrages exprimés, l’empire, qui obtenait 73 pour 100 il y a six ans, n’a plus que 56 pour 100, et