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les oppositions réunies, au lieu de 27 pour 100, approchent aujourd’hui de 44 pour 100. Le déplacement est considérable, et cependant l’impression qu’on reçoit à première vue des chiffres[1] est bien amplifiée encore quand on arrive aux détails.

En décomposant les deux épreuves, l’élection générale et les ballottages, on trouve que 202 députés anciens ont conservé leurs sièges, et que 90 nouveaux sont entrés au corps législatif. C’est une bonne proportion. Comme talent et ressources de vitalité, la nouvelle assemblée permet d’espérer beaucoup. Sauf quelques pertes regrettables, et qui seront réparées en partie au moyen des doubles nominations, elle possède encore les hommes qui ont donné tant d’éclat et d’efficacité à ses derniers travaux : elle a acquis ce qui lui manquait un peu, des hommes jeunes, bien préparés à la vie parlementaire, sans trop de superstitions politiques, impatiens d’acquérir la pratique des affaires, et dont plusieurs étonneront le public par le contraste de leur modération avec l’ardeur de leur parole. Faut-il essayer maintenant de classer les élus suivant les opinions qu’ils représentent ? Les premières nomenclatures qu’on a essayées ont attribué plus de 200 voix à la majorité du gouvernement, et environ 90 voix à l’opposition ; mais on a discerné dans le second groupe des nuances infinies depuis l’officiel jusqu’au radical, en passant par le libéral dynastique, le libéral parlementaire, le tiers-parti, l’opposition démocratique. Les premiers travaux de l’assemblée ont montré combien les classifications de ce genre sont prématurées. La couleur réelle des opinions est comme un reflet emprunté aux circonstances. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? De vider les questions que le suffrage universel vient de poser en maître, à savoir, si le peuple de France doit rester éternellement en tutelle, et comment son émancipation, si elle a lieu, se conciliera avec les théories du gouvernement personnel. Ce thème étant donné, les manifestations du tiers-parti, si adoucies qu’elles puissent être dans l’intention et dans la forme, n’en deviennent pas moins un fait d’opposition bien plus émouvant que ne le serait une explosion volcanique au sommet de la montagne.

Les têtes politiques sont encore pleines de réminiscences parlementaires ; elles ne remarquent pas que le régime actuel n’est plus, comme on disait autrefois, le règne des majorités ; la force est extérieure et réside dans l’opinion. Les majorités numériques n’ont de valeur dans une assemblée que lorsque le nombre fait et défait les

  1. Malgré la peine que de simples citoyens doivent se donner pour approcher de la réalité, ces chiffres n’ont peut-être pas toute la précision officielle. La faute en est à l’administration, qui est si prodigue de statistiques pour des faits sans portée, et qui n’éclaire par aucun document les actes souverains du suffrage universel.